J’ai personnellement toujours été fasciné par les « autres », qui sont à la fois comme moi et différents de moi (alter ego). Je ne vois pas à quel titre on pourrait m’interdire d’avoir des relations avec les gens les plus divers et d’exprimer les impressions qu’ils me font. C’est justement pourquoi je viens de publier aux éditions Cleyriane un livre intitulé « Rencontrer les Autres… cultures autour du monde », dans lequel je décris les façons d’être que j’ai constatés chez les populations de la trentaine de pays d’Europe, Amérique, Afrique et Asie, dans lesquels j’ai travaillé. On pourrait bien sûr me faire le reproche d’y effectuer des généralisations, car il n’y a pas de collectivité au sein desquelles tout le monde soit pareil. Je répondrais que c’est justement ce qui fait l’intérêt de discerner ce que les gens d’une collectivité partagent souvent, parfois sans en être conscients. Sans cultures communes, comment expliquer que la plupart des membres d’une communauté aient des pratiques et des convictions similaires. L’identification de leur culture suppose de déceler des tendances, alors même que tous les membres du groupe n’ont pas les mêmes habitudes, ni les mêmes croyances… Et de détecter des lignes de force, qui sont susceptibles d’évoluer dans le temps.

Pourtant, aujourd’hui, des représentants autoproclamés extrémistes de minorités ethniques, sexuelles, religieuses, ou sociales prennent des positions qui rejettent les autres et excluent tout dialogue.  Ils peuvent faire preuve d’une totale intolérance à qui n’adhère pas à leur vision et ne plus écouter ce que disent ceux qui ne font pas partie de leur groupe. Ils mettent en avant une « culture » qui leur serait propre, en se référant à une origine idéalisée… Ce faisant, ils simplifient ou même déforment le passé et effectuent des amalgames et des exagérations, pour justifier leur idéologie identitaire moraliste. Ainsi, certaines féministes ont tendance à assimiler tous les hommes à des prédateurs, comme s’ils étaient tous des monstres. Est-ce la meilleure manière de s’attaquer aux violeurs et à ceux qui peuvent réellement nuire aux femmes ? D’autres, racialistes ou indigénistes, incitent à éliminer les statues de personnages qui ont approuvé l’esclavage ou la colonisation, ou en ont profité. C’est la négation de l’histoire, dont la finalité est de comprendre les mécanismes et les idées qui ont façonné ce qui est advenu, sachant qu’il n’y a aucun peuple qui ait eu les mains totalement propres. Nous devons accepter d’être les descendants du pire, comme du meilleur.

Ces allégations excessives servent de prétextes à la divulgation, sur les réseaux sociaux, d’informations trompeuses, campagnes d’opinions hostiles, soupçons et rumeurs… et à la systématisation de jugements qu’à mon enfance on s’interdisait, sans preuve. Il est facile de se faire justice sur les réseaux sociaux, en condamnant ceux qui ont seulement fait l’objet de plaintes, dont les fondements restent à prouver.  Des jugements sont arrêtés par le tribunal médiatique, sans instruction ou procédure judiciaire. On trouve alors l’expression d’un mépris de ceux qui ne pensent pas comme soi… et des échanges de discours de haine de l’autre, d’insultes et de menaces, traitant par exemple de « collabos », les membres de leurs minorités qui se reconnaissent dans l’Etat du pays dans lequel ils ont choisi de se réfugier. Cela aboutit à des accusations qui peuvent tuer une réputation… et même à la censure des autres, lorsque les représentants des « communautés » appellent au boycott ou exigent le retrait (des librairies) de certaines œuvres qu’ils disent être offensantes,parce qu’elles ne partagent pas leurs opinons. Cela va jusqu’à tenter d’effacer de l’espace public, toute personne dont un propos ou un acte les froisse. Cela débouche sur l’empêchement des autres de s’exprimer. Ainsi, le mouvement « décolonial » impose l’exclusion des « autres », dans des réunions en groupes « non mixtes », interdites aux « blancs ». Les « blancs » n’auraient plus le droit de parler des « noirs », car ce serait de l’« appropriation culturelle ». Cela aboutit à retourner l’antiracisme en racisme, contre la supposée « domination blanche ». Il me parait pourtant très discutable que le « privilège blanc » soit toujours déterminant, les blancs profitant de l’être, en bénéficiant de l’inégalité. Il n’y a pas, pour tous les blancs, des avantages à l’être. Pas plus qu’il n’y ait que des inconvénients à ne pas l’être, à être femme, ou non hétérosexuel.  Qu’on ne parle pas d’un avantage systématique à être blanc, ou alors qu’on prenne en compte les inégalités que vivent bien des blancs. Par exemple, pour ne parler que de l’accès à l’emploi….

…un fils de paysans pauvres du centre de la Bretagne peut-il arriver à être admis à suivre la même scolarité que les enfants des familles privilégiées de l’ouest parisien ?

…un diplômé de psychologie n’est-il pas défavorisé lorsqu’il est en concurrence avec des candidats issus des grandes écoles, pour accéder à des postes dirigeants… et cela même après qu’il ait lui-même enseigné dans ces établissements prestigieux (Mines de Paris, ENA…) ?

…un français ne rencontre-t-il pas des oppositions, lorsqu’il cherche à ce que la publication de ses études et recherches soit acceptée par les revues universitaires anglophones ?

…un simple citoyen ne se heurte-t-il pas à des difficultés, lorsqu’il postule à une fonction dans de grandes institutions publiques, sans appartenir aux groupes ou cénacles, parfois religieux, dont les membres se soutiennent et font obstacle à ceux qui leur sont étrangers ?

Pour moi, il est évident qu’il y a bien des injustices sociales face auxquelles il est légitime de s’élever. Comme c’est parfois le cas concernant ceux ou celles qui ont certaines orientations sexuelles (homosexuels, L.G.B.T.…). J’ai, pour ma part, toujours milité pour défendre les groupes victimes de discriminations, exclusions sociales ou ségrégations, ou subissant des traitements préjudiciables. Il est normal de lutter contre toute manifestation offensante de dédain, irrespect, moquerie, raillerie, ridiculisation, expression vexatoire ou insultante, ou humiliation. On ne peut accepter que tous n’aient pas des chances égales d’accès au logement, à l’emploi, à des niveaux de salaires équivalents et à l’éducation. Il est insupportable que certains subissent des violences physiques, maltraitances, ou agressions.

Oui, j’estime qu’il est primordial de s’efforcer d’éradiquer les violences, notamment sexuelles, pouvant aller jusqu’au meurtre, à l’égard des plus faibles, femmes et surtout enfants, par des hommes de certains milieux marqués par le modèle du système de domination patriarcal. Il est clair que cela légitime le féminisme. Mais alors pourquoi ne parle-t-on pas plus de l’inceste ?

Oui, je crois qu’il importe de lutter contre les discriminations qui font obstacle à l’embauche ou à l’obtention d’un logement pour certains, à cause de la couleur de leur peau ou de la connotation ethnique de leur nom. Cela justifie pleinement de militer contre le racisme. Mais alors pourquoi ne parle-t-on pas plus des préjugés qui se traduisent dans des discours négatifs et manifestations d’ostracisme à l’égard de mes amis gitans/manouches, plus souvent qu’à l’égard de mes amis juifs, ou de mes amis immigrés, venus de pays anciennement colonisés ?

Rien ne peut excuser non plus que des policiers soient sélectivement indifférents aux plaintes de femmes exposées à des agressions… ou, a fortiori, exercent des brutalités à l’égard de membres de minorités ethniques. Mais ne font-ils pas que refléter les préjugés d’une partie de la population, amplifiés trop souvent par les médias ? N’est-ce pas à ce niveau qu’il importerait d’agir ?

Beaucoup a été déjà fait pour réduire ou compenser ces inégalités, mais il reste un important écart à combler entre les droits formels et les droits réels de certaines minorités… et donc beaucoup à débattre et à corriger. Raison de plus pour ne pas opposer les hommes et les femmes ou les personnes aux faciès blancs ou basanés. Attiser les défiances et les tensions entre eux ne peut contribuer à leur entente, mais risque, au contraire, de provoquer une rupture entre eux, de détruire la cohésion sociale et de préparer le séparatisme. J’en appelle donc à ce que les peuples, les genres et les croyants s’ouvrent aux autres, échangent et débattent avec eux.

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