Il va nous falloir coopérer avec les Chinois, donc, comprendre leurs réactions.

La pandémie du Covid 19, venue de Chine, nous démontre que, pour résoudre des difficultés vitales d’une telle ampleur, il ne sert à rien d’accuser l’autre de chercher à profiter de la situation à son propre avantage. Il s’impose plutôt d’arriver à coopérer, donc nous comprendre. Pour cela, les particularités culturelles de la Chine, que j’ai citées dans « Rencontrer les Autres… cultures du monde », livre publié aux éditions Cleyriane, doivent être prises en considération.

Certes les Chinois ont une ambition impérialiste manifeste, qui aspire à restaurer la grandeur de la Chine, en compétition avec les U.S.A. pour le leadership en Asie. C’est le « rêve chinois » consistant à faire la promotion de son modèle socio-économique, sécuriser les régions internes où demeurent des minorités ethniques et pousser à la domination de la région asiatico-pacifique.

Mais, dans ce but, « la mentalité chinoise a été marquée par l’obéissance à une autorité centrale forte. Depuis 3 à 4 000 ans, le peuple a été sous la coupe d’empereurs puissants, directifs, brutaux et féroces… Cette subordination… relayée par des mandarins… a imprégné les esprits… Le peuple en vint à accepter cette subordination à la hiérarchie… Aujourd’hui encore, la Chine est encadrée par des dirigeants autoritaires et sans faiblesse, qui s’opposent à toute contestation de leur vision… Le régime exerce un contrôle sévère de la population : censure de ce qui est publié, domination sur les opposants et dissidents par la propagande et les emprisonnements… » (page 86). En Chine, on est ainsi dans un monde où chacun construit seul sa vie personnelle (de couple, d’enfant…) et professionnelle, au milieu de la foule immense. Les unions et collectivités intermédiaires (religieuses…) étant contenues par le pouvoir, chacun se sent tenu de respecter les règles sociales générales et se ménage des petites libertés discrètes, à la limite de ce qui est régenté par les législations. « Cette approbation permanente reflète le dévouement de la majorité de la population à la collectivité, sa préoccupation d’appartenance au groupe et son adoption de positions conformes… La plupart des Chinois semblent soucieux de l’harmonie sociale, à laquelle est subordonné l’intérêt de chacun… Dans ce système de pensée, l’individu seul n’est pas grand-chose. Cela fait que l’idée d’égalité sociale n’a guère de sens. Chacun n’existe que par rapport au milieu dans lequel il vit et à ses relations, à son réseau d’appartenance et à des liens de réciprocité… » (page 84). Cette culture collective et disciplinée (habitude de porter des masques…) a permis de juguler les contaminations.

D’ailleurs, la plupart des Chinois sont accoutumés à ne jamais manifester directement leur désaccord. « Les Chinois que j’ai rencontrés avaient beaucoup de mal à dire non. Comme s’il leur était difficile à la fois d’affirmer une position personnelle… et de risquer de se tromper… En Chine, il importe de préserver toujours une porte de sortie honorable à ses interlocuteurs, avec lesquels l’entente ne doit jamais être rompue… Mais, ne vous méprenez pas, ne pas refuser ne veut pas dire qu’on soit d’accord » (page 84). C’est juste qu’en « Chine… il est difficile de parler de ses faiblesses, sans risquer de perdre la face… Cela peut conduire les Chinois à masquer les dysfonctionnements éventuels (rétention ou dissimulation d’informations, rétention de preuves…). Ainsi, arrive-t-il que, lorsqu’ils se trouvent face à une situation embarrassante, ils agissent comme si rien ne s’était passé… Ou bien, qu’ils semblent ignorer ce que leur disent les autres » (page 89). Avec une telle prohibition de la reconnaissance de ses fautes, il n’y a donc pas lieu de s’étonner du retard des Chinois à admettre la reconnaissance par l’O.M.S. de l’importance de la pandémie, ou bien du fait qu’un Etat d’1,4 milliards d’habitants affirme n’avoir eu que moins de cinq mille morts, alors que bien des pays européens de quelques dizaines de millions d’habitants, aux systèmes de santé développés, ait plusieurs dizaines de milliers de morts ? Face à la réalité de leurs difficultés, lorsqu’ils sont confrontés à leurs fautes, la réaction des Chinois, est alors souvent de rejet agressif. Comment s’étonner que nous ayons assisté, en riposte, à des affirmations de contrevérités et désinformations, des cyberattaques manipulatrices sur les réseaux sociaux… et des escalades verbales et campagnes de dénigrement contre les démocraties de l’Australie, des Etats-Unis, du Canada, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la France, qualifiées d’« égoïstes, inefficaces et dépassées » ?

Or, aujourd’hui, étant interdépendants face à des menaces vitales, sanitaires, démographiques et naturelles, écologiques… et financières, il nous faut arriver à agir conjointement avec la Chine afin d’y remédier, donc nous entendre. Il y va de notre survie. Cela suppose que nous comprenions les façons de penser des autres et harmonisions nos pratiques.

La coopération s’impose. Mais elle est d’autant plus difficile qu’il faut tenir compte que la pensée chinoise se déploie dans le mouvant, l’indétermination et les oppositions, inversement à la perfection absolue visée par la tradition platonicienne.

Tout d’abord, « avec leur conviction de l’impermanence des choses, la logique des Chinois est que les êtres changent constamment et deviennent différents, avec le temps, tout en restant eux-mêmes. Ce qui fait qu’il est simultanément vrai qu’ils sont à la fois toujours les mêmes et différents de ce qu’ils étaient l’instant auparavant » (page 93).

D’autre part, la pensée chinoise « ne suit pas la logique binaire d’Aristote, dite du tiers exclu, pour laquelle chaque chose ne peut être que soit vraie, soit fausse. On est loin de l’idée européenne de contradictions qui s’excluent l’une l’autre… Les Chinois peuvent admettre que les choses soient à la fois vraies et fausses, ou bien ni vraies ni fausses, mais incertaines ou ambigües » (page 93).

Enfin, les Chinois se fondent souvent « sur des réalités divergentes qui coexistent, une dialectique des diversités… Dans ce pays, toute crise est ainsi considérée à la fois comme un danger et comme une opportunité » (page 93). « Un aspect frappant de la culture chinoise c’est son raisonnement par pôles opposés, moins antagonistes que complémentaires. J’ai souvent relevé que mes interlocuteurs y conformaient leur action. Ils perçoivent le monde comme double. Rien n’existe sans son contraire. A la base, c’est le yin et du yang de l’énergie universelle : vide et plein, mâle et femelle, positif et négatif, ordre et désordre… Ainsi, au jeu de Go, les frontières qui délimitent (de l’intérieur) un territoire, sont aussi celles qui « entourent », vues de l’extérieur, les territoires de tous les autres joueurs » (page 94).

« Cette complexité de la pensée n’est sans doute pas sans rapport avec la langue et l’écriture compliquées des Chinois. Ils visualisent les raisonnements, recourent au dessin pour expliquer les choses. On le perçoit dans leurs systèmes d’équations et de calcul (échiquier, boulier…). Cela peut expliquer qu’il y ait toujours des indications implicites dans leurs propos, au-delà de leurs formalisations explicites. Ce qui les fait paraître énigmatiques » (page 94).

Raison de plus pour engager des échanges dans la circonspection, avec la volonté de trouver des terrains d’entente et de coopération, favorables à nos intérêts réciproques.

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