Nous avons bien des idées préconçues, parfois fausses, sur la culture des Américains. Pour mieux comprendre celles-ci, nous pouvons nous référer aux expériences de travail en Amérique du nord que cite Pierre Alain Lemaître dans « Comprendre les Autres… cultures du monde » (éditions Cleyriane).

Pierre Alain Lemaître a d’abord constaté qu’« une des valeurs déterminantes de la culture américaine est l’apologie de la liberté, la croyance dans les capacités des individus à prendre des initiatives… C’est toute l’histoire d’une société de pionniers… Le mythe fondateur des Etats-Unis est la ruée pour la conquête de l’Ouest, sans foi ni loi, qui exalte la capacité à se suffire à soi-même et glorifie le succès individuel… et la réussite de celui qui s’est fait tout seul (« self-made man »). Pour les Américains, l’important est d’essayer, jusqu’au succès… Ils ont le goût du… « challenge » et sont prêts à prendre des risques… leurs rétributions étant largement fondées sur les résultats individuels… Ils reconnaissent… les rivalités et, donc, la compétition » (page 35).

Dans « Comprendre les Autres… cultures du monde », Pierre Alain Lemaître note que cette dynamique individuelle est pragmatique : « La coopération avec des Américains m’a… appris qu’un principe fondateur de leur culture est l’empirisme, le réalisme… La plupart d’entre eux ne supportent pas l’intellectuel, le conceptuel et les abstractions. Beaucoup sont peu sensibles à l’idéalisme… et ne s’intéressent qu’aux faits et à l’action. Ce qui conduit au caractère informel et ouvert de leurs méthodes de travail. Ils acceptent tout, du moment que cela fonctionne… et ils parlent souvent en termes simples… sans faire étalage de références culturelles… quitte à paraître incultes… Certains disent même parfois « je ne sais pas », alors qu’ils savent, pour donner une impression de franchise, d’ingénuité et d’honnêteté… Ainsi, ce que les Américains considèrent comme positif, c’est le factuel, le mesurable, les solutions… Cette focalisation sur les résultats les conduit habituellement à se préoccuper avant tout de l’immédiat… Cela correspond à une culture qui valorise le présent, s’intéresse peu au passé et considère que, pour l’avenir, on verra bien… On vit dans l’instant, on s’intéresse peu aux références… et on est entraîné dans une course en avant permanente… Le souci du pécuniaire entraîne alors une recherche du rendement à court terme » (page 29).

D’où une tendance à valoriser la réussite matérielle et l’avoir : « Une autre chose frappante… avec des Américains, c’est l’importance, pour eux, des aspects… pécuniaires… Ils sont constamment soucieux… du gain. D’où la focalisation sur les signes monétaires de succès et la recherche continuelle de la rentabilité… Ainsi est-il habituel, quand on rencontre un Américain, qu’il évoque… ce qu’il gagne… D’autant plus qu’il existe souvent un lien étroit entre les résultats… et les salaires… Ce qui induit d’ailleurs un enrichissement des plus riches et un appauvrissement des plus pauvres. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les Etats-Unis soit le pays au plus fort écart entre eux…. Cela fait que le terrain de prédilection des Américains est le monde… du « business », dans la patrie du libéralisme » (page 31).

Tout ceci s’inscrit dans une logique de contrat : « Peu de temps après avoir commencé à travailler au Canada, j’ai été très surpris en constatant une réaction… de mon patron. Il m’avait confié une certaine responsabilité… et, une fin d’après-midi, il me convoque et me demande… si je n’estime pas qu’il m’aurait attribué une tâche trop difficile pour moi. Est-ce que je ne me sentirais pas un peu dépassé par mes fonctions ? … Cette question me vexe. Je lui demandais alors ce qui lui fait douter ainsi de mes capacités. Devant ma réaction offusquée, il m’expliqua qu’il avait constaté que je restais tous les soirs jusqu’à après 18 heures 30, alors que l’heure programmée pour la fin du travail était 17 heures 30… Pour lui, j’étais censé obtenir les résultats attendus de moi, sans dépasser le temps qu’il est prévu de consacrer au travail. Il pensait donc naturellement que ma charge était trop lourde pour moi. Ne pas être assez efficace pour s’en sortir en respectant, la plupart du temps, les horaires normaux, était considéré, par lui, comme un signe d’incapacité !… J’ai souvent constaté, ainsi, qu’en Amérique du nord, on se réfère aux… objectifs à atteindre et moyens alloués » (page 25 et 26).

Ce contexte ouvre bien des opportunités : « En travaillant avec des Américains, on découvre… très vite qu’ils exigent des performances, encouragent la concurrence interindividuelle, accordent à chacun de larges possibilités de réussite… et récompensent les succès personnels… Tout le monde peut accéder à un poste de responsabilité avant 30 ans » (page 32). Mais cela suppose, « pour en profiter, d’avoir des capacités et une forme hors pair, se tuer à la tâche… et ne prendre que des vacances courtes » (page 33).

Tout ce système repose sur la place centrale de la consommation : « Lors de mon premier séjour américain… quelques jours après mon arrivée, je croisais une voisine qui revenait du supermarché avec trois parapluies. Dans la conversation, je lui dis que je ne savais pas qu’elle n’avait aucun parapluie. Elle me répondit alors qu’elle en avait déjà cinq, mais que les parapluies étaient actuellement en promotion et qu’il fallait en profiter ! Elle vivait avec son mari et ses deux enfants. Où était le besoin d’avoir deux parapluies par personne ? Par la suite, j’ai constaté bien des fois, cette incitation à la dépense pour des acquisitions superflues, sans référence préalable à l’utilité de l’achat. Cela me heurtait, car… issu d’une tradition paysanne, renforcée par les privations de la guerre, en Europe, je ressentais ça comme contraire au souci de tout économiser par précaution qui m’avait été enseigné. J’ai alors pris conscience que le fonctionnement et la croissance de l’économie de marché libérale nord-américaine sont fondés sur… les promotions commerciales et la recherche… des opportunités de bonnes affaires, en profitant des occasions passagères, quels que soient ses besoins réels. Le marketing suscite des envies et pousse à acheter tous les produits, en faisant en sorte de rendre indispensable l’inutile, ou ce qui répond à des besoins créés artificiellement. C’est ce qui induit la multiplication des centres commerciaux et banlieues… qui caractérisent les paysages américains. Les achats y sont provoqués par la publicité… On se défoule dans le shopping et on est rapidement suréquipé, …ou frustré de n’avoir pas les moyens d’acquérir tout ce qu’on désire, parfois uniquement parce que c’est une preuve… de sa réussite personnelle. Comme si le fait d’avoir plus, était protecteur ! » (page 28).

La pression concurrentielle est contrebalancée par un impératif d’intégration, car, « pour les Américains, on se doit d’être… accessible. Ils ressentent l’obligation d’établir avec les autres des contacts amicaux… Demandez un renseignement dans la rue… et on vous accompagnera… Arrivez habiter dans une ville et… vos voisins viendront, souriants, vous proposer leur aide. La familiarité est immédiate. Dès les premiers contacts, on constate, qu’après une présentation brève, on se fait très vite des « amis » … Ne vous étonnez pas que les gens que vous rencontrez vous appellent rapidement par votre prénom… Pour les Américains, refuser de parler à une personne qui se trouve dans la même pièce… est d’une extrême grossièreté… et est le signe évident d’une hostilité, ou d’un profond mécontentement… » (pages 26 et 27). Cependant, « il m’est arrivé de rester la main tendue, face à des interlocuteurs pour qui le « shake hands » ne se pratique que dans des circonstances exceptionnelles… Cela correspond à la perception de l’espace des Américains. Pour eux, il convient de garder ses distances… et on ne touche pas les autres… Même visuellement, la coutume veut qu’on ne regarde jamais les autres fixement. En particulier, on ne porte pas les yeux sur les femmes. Dans le cours d’une conversation, le regard des Américains vagabonde donc souvent autour des interlocuteurs… » (page 26). « Ne croyez pas que… ces attitudes cordiales correspondent à une attention humaine chaleureuse et profonde. La liberté laissée à l’autre prévaut sur l’attention qu’on lui porte… En Amérique, on est habituellement convivial de façon superficielle, tout en n’établissant aucune relation profonde, qui engage durablement » (page 28).

Tout cela aboutit à ce que « l’une des principales caractéristiques de la culture américaine est la propension à la violence. C’est abondamment illustré par le cinéma américain, des bagarreurs des westerns, aux thrillers, aux extra-terrestres et aux superhéros… et renforcé par le droit de chaque citoyen américain de détenir et porter des armes, garanti par le deuxième amendement… Le résultat c’est la brutalité de la culture américaine, de nombreux meurtres, règlements de comptes sanglants et assassinats d’hommes politiques, une imprégnation par des craintes et une obsession de la sécurité » (page 40).

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