Pierre Alain Lemaître a, « pendant plus de quinze ans… été membre du Conseil d’Administration d’une association… qui assurait la distribution en Europe de tableaux brodés à Pondichéry, par des femmes pauvres, employées par un Atelier, créé en 1970… Ce qui l’a conduit à faire, depuis 2007, des séjours répétés en Inde » (page 71). Dans son livre, « Comprendre les Autres… cultures du monde », il évoque sa perception de l’Inde du sud.

 

Un extraordinaire souci du beau : « En Inde… dès qu’on arrive, on est fasciné de voir « des charrettes tirées par des bœufs aux cornes agrémentées de peintures » … « des barques de pêche peintes, des villages protégés par des effigies grimaçantes… et des temples décorés d’une profusion de sculptures » et de fresques, ainsi que de splendides jardins… et parcs arborés luxuriants… D’une élégance naturelle, les Indiennes « portent avec grâce de superbes saris, de somptueux colliers de fleurs et des bijoux et sont impeccablement peignées ». Ce souci de la beauté et ce soin qu’elles mettent à se vêtir reflètent qu’« à côté de leur pauvreté et pour la compenser, c’est une façon d’affirmer leur dignité, qui donne du sens à leur vie »… On assiste en Inde à des… musiques et danses savantes, particulièrement complexes… En Inde du sud, les femmes dessinent, tous les matins… sur le sol…, au seuil de leurs maisons, avec des poudres de couleurs vives, de superbes dessins… éphémères, car piétinés et effacés dans les heures qui suivent… et devront être recommencés le lendemain » (pages 80 et 81).

 

L’affirmation des différences et la persistance des castes : En même temps, l’Inde est caractérisée par « le très fort enrichissement des plus riches et l’extrême pauvreté des plus démunis… dans une société très hiérarchisée… La société indienne reste stratifiée entre des groupes aux fonctions différentes et relations asymétriques. Les Védas… distinguaient les… castes composant la société, qui assument des rôles complémentaires : ceux qui prient, ceux qui règnent, ceux qui produisent et ceux qui servent… Les dalits, ou intouchables, effectuent ce qui est jugé impur… qui se rapporte aux ordures, ou à la mort… Les Indiens en restent profondément marqués. Je me souviens par exemple, de cette jeune fille de famille bourgeoise, instruite et éduquée, reçue dans une famille française, qui paraît révulsée en voyant la maitresse de maison faire la vaisselle et qui s’échappe devant un torchon qu’on lui tend gentiment, en disant « il y a des gens pour ça ». Cela induit une séparation, mais aussi une interdépendance entre les groupes sociaux… Pour préserver l’ordre du monde cosmique et social (dharma), chaque groupe doit agir selon les règles qui lui sont propres… Les castes… ont ainsi assuré… la cohabitation entre les communautés…  Cela contribue à rendre supportable » la pauvreté (page 76). Ainsi, « les enfants apprennent, dès l’enfance, les implications de leur position…, leurs obligations envers ceux qui sont « au-dessus », mais aussi envers ceux du « dessous », au bien-être desquels ils doivent veiller, en contrepartie de leur droit d’être obéi… » (page 72).

 

Plus globalement, l’Inde c’est le pays du complexe où tout est vrai y compris son contraire.

 

Une perception du temps en boucle y influence l’attitude à l’égard de la vie. Les Indiens « considèrent le temps comme circulaire… Le commencement est aussi la fin… et réciproquement (cf. l’impossible antériorité entre la poule et l’œuf). C’est le temps de la roue qui tourne… Fondamentalement, les Indiens ont une conception… du temps… distinguant création, continuation et disparition, ou transformation. Avec cette perception du temps…, leur pensée est fondée sur le principe de la métamorphose, suivant le cycle terrible de la mort et de la réincarnation (ou Samsara) … Cela condamne à revivre, après son décès, sous une autre forme, humaine ou animale. On évolue, au fil des vies, selon son Karma (somme des actes… commis… dans des vies antérieures, qui détermine ses joies et ses souffrances, dans ses vies ultérieures). Si ses existences ont été positives, on atteint la délivrance du Nirvana, sorte d’état de grâce… caractérisé par la dissolution du moi individuel illusoire… On devient un pur esprit que plus aucune passion ne tourmente… et l’être ne souffre plus, car il a abandonné sa raison d’être. Avec cette croyance, on peut être patient… La mort est de peu d’importance. (Pourtant), la réincarnation suppose un respect du vivant, qui peut être un proche. Pour les Indiens, il importe donc de s’abstenir de tuer quelque être que ce soit, donc de protéger les animaux… Au quotidien, cela conduit à l’adoption de principes de respect de la vie et de la nature, d’une nourriture végétarienne… d’une existence frugale et ascétique » (pages 73 et 74).

 

L’Inde c’est aussi des préoccupations matérielles continuelles, dans une civilisation multimillénaire marquée par la spiritualité. « La majorité des Indiens considèrent que leur destinée terrestre, inégalités et injustices comprises, est entre les mains des dieux. Ils croient à l’existence de forces mystérieuses… dont il faut apprendre à se défendre. Les pratiques de ferveur, de dévotion ou même d’adoration sont fréquentes. D’où l’importance, pour bien des Indiens, des rituels de purification, pour se protéger des calamités (mantras), ou pour honorer les esprits des morts. On croise ainsi, sur les routes, des milliers d’hommes en pèlerinage … Comme si… il fallait… faire preuve de ferveur et se mettre sous la protection des dieux » (page 73). « La spiritualité, en Inde, n’est pas que religieuse. Elle imprègne tout. Ainsi les dessinateurs et les brodeuses… de Pondichéry… étaient-ils « incapables d’élaborer des tableaux qui ne soient que visuellement superbes. Il fallait qu’ils véhiculent… un message » … Ainsi, le jaune est là pour apporter de la joie, car c’est la couleur du bonheur, la fleur de Lotus marque à la fois l’amour et la pureté, l’éléphant représente la sagesse, l’intelligence et la paix… et le perroquet incarne le porte-parole, le messager, le traducteur » (page 80).

 

Enfin, l’Inde est caractérisée par un dynamisme prodigieux… et désintéressé. « La formidable vitalité et l’indomptable énergie…dont les Indiens font preuve, se traduisent par… une agitation constante, manifestée par la multiplication des klaxons stridents …et un désordre continuel » (page 79). « La plupart des Indiens… valorisent l’innovation et la modernisation… font beaucoup d’efforts et sont très persévérants et obstinés, ce qui fait que souvent, en affaires, ils ne lâchent rien » (page 80). Mais, « en Inde, cette activité intense est souvent sans passion. Les Indiens… croient à la supériorité du détachement (du Brahmane). Seule l’action librement accomplie sans passion et sans haine, en se désintéressant de son fruit, est « sattva » (pure et lumineuse) » (page 80). Cependant, « on ne peut qu’admirer… le pragmatisme des Indiens… afin d’économiser les moyens et faire mieux, avec moins. Face à la pénurie, ils ont dû apprendre à créer des approches « frugales » (peu « coûteuses »), rapides et faciles à mettre en œuvre… ou « Juggad ». Tout ce qu’ils développaient devait être très abordable, pour être profitable au plus grand nombre. Cela les a obligés à faire preuve d’ingéniosité pour trouver des solutions utilisant des moyens simples, souvent de recyclage… Encore fallait-il que ces solutions, soient durables, donc… flexibles et évolutives. Ils durent faire preuve d’une admirable débrouillardise, d’une solide confiance en eux-mêmes et d’une grande capacité à coopérer… » (page 81).

 

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