Les Européens ont souvent le sentiment que l’Europe ne tient pas ses promesses. Qu’en est-il, en réalité ? Dans « Dépasser les antagonismes interculturels Un défi vital pour le monde », Pierre Alain Lemaitre met en perspectives ce qu’il en est. Résumons ses propos…
L’Europe est devenue une condition pour exister à l’échelle mondiale.
« Aucun des grands pays d’Europe, même les plus prestigieux, ne représente plus d’un pour cent de la population mondiale ». Et les nostalgies des empires coloniaux de certains européens (plus d’un quart des Britanniques, d’après des enquêtes récentes) ne sont qu’une illusion.
« Les luttes contre le réchauffement climatique, contre le terrorisme, ou contre les abus des multinationales ne peuvent pas se mener avec succès par un seul pays… Aucun n’est capable de défendre, isolément, ses propres intérêts » (page 175).
Sans s’épauler, les monnaies des pays européens subissent inexorablement des fluctuations de leur valeur, sous les coups de boutoir des spéculateurs. Sans l’Europe, pas un pays européen n’aurait pu faire face, sans drame sanitaire et économique, à la pandémie du Covid 19…
Or, actuellement, « de grandes menaces pèsent sur l’Europe et nécessitent son renforcement. Dans ses relations commerciales et économiques extérieures, l’Europe est confrontée à une concurrence mondiale… Les Européens doivent prendre conscience que leurs concurrents menaçants ne sont pas les autres pays européens, mais principalement l’Amérique, la Chine et la Russie, pour lesquelles les pays européens sont des proies. Certaines puissances tentent même d’effacer l’Europe, en excitant les divisions entre les nations qui la composent. L’Europe, qui est le bloc le plus importateur des trois, doit veiller à l’équilibre des rapports de force…, plutôt que laisser ses adversaires devenir maîtres du jeu… L’Europe ne peut plus, notamment, compter sur les Etats-Unis, qui ont toujours eu une politique isolationniste et sont presque exclusivement soucieux, actuellement, de leurs propres intérêts… Simultanément, des Etats périphériques, tels que la Turquie, ou ceux du Moyen Orient, ou du Maghreb se sentent rejetés au point de tourner le dos à l’Europe. Tandis que des islamistes et d’autres courant religieux extrémistes tentent de manipuler les populations pour mettre la main sur la culture européenne. Et, à l’intérieur, différentes mafias gangrènent les institutions, pillent des budgets publics et sont des maillons d’alliances à des pénétrations extérieures… Il devient primordial de développer une Union Européenne politiquement plus solidaire, cohérente dans ses choix et soudée » (pages 169 et 170). « Seule une Europe unie est susceptible de peser suffisamment, pour exister face à l’affrontement des deux rives du Pacifique et s’imposer face aux… intérêts privés des multinationales et de la finance internationale… Cette situation légitime l’effort pour constituer une entité européenne renforcée, culturellement plurielle et politiquement unifiée. Le monde a d’ailleurs besoin d’une Europe forte… La consolidation d’une Europe autonome et crédible, c’est l’intérêt des Européens, mais aussi des autres peuples, y compris des pays surpuissants. En effet, quiconque a fait du sport en compétition sait que cela n’apporte rien d’écraser les plus faibles, sauf à vouloir les asservir ou les détruire. L’intérêt de tous est donc bien d’avoir des partenaires d’une taille et une puissance proche de la sienne, avec lesquels échanger… confronter et consolider ses forces… L’unification de l’Europe est essentielle pour une compétition mondiale bienveillante (page 177).
La faiblesse de l’Europe ce sont ses divisions, qui l’empêchent, sauf exception (Airbus…), de mener à bien de grandes réalisations à la hauteur de ses capacités, quand celles-ci sont mises en commun. En effet, la plupart des « pays, accrochés à leurs intérêts particuliers, refusent de s’inscrire dans le projet initial de solidarité… et bloquent les projets communs… L’Europe n’avancera pas sans remédier aux désaccords en son sein… D’ailleurs, si les intérêts de tous ne sont pas toujours convergents, cela ne justifie pas des antagonismes, ou des risques de fragmentation, ou même de désintégration » (page 174).
« Cela ne veut pas dire qu’il faille être naïf. Il est normal que chacun s’efforce d’améliorer sa situation… et de conserver ses avantages. Ce qui peut être, parfois, au détriment des autres » (page 101). « Il restera ainsi toujours des intérêts antagonistes… Il y aura donc toujours des tensions interpersonnelles… Cela ne signifie pas qu’elles doivent nécessairement déboucher sur des conflits » (page 102). Mais, « si nous estimons que la compréhension entre les peuples est nécessaire, il ne s’agit pas d’angélisme… Nous n’avons plus le choix… Les intérêts et destinées des peuples sont trop étroitement liés… Les hommes se savent tous sur le même bateau en péril… Il nous faut œuvrer ensemble, pour nous en sortir » (page 101). D’ailleurs, « la concurrence entre les peuples peut être bénéfique à tous, comme l’ont démontré les succès du libéralisme » (page 102).
Cependant, il est indispensable, pour cela, de « mettre en oeuvre des moyens pour empêcher certains de s’approprier la totalité des biens ou des pouvoirs… Il est vital… que ceux qui possèdent plus, acceptent de partager, au moins une partie de ce qu’ils ont… Fondamentalement, il importe qu’à la base chacun ait à cœur de connaître et prendre en considération l’Autre… et les particularités de ses besoins et de ses souhaits » (page 103). Maîtriser ainsi nos divergences d’intérêts « est sans doute possible, puisque, depuis 75 ans, nous avons su éviter, avec la dissuasion, de nous détruire avec la bombe atomique » (page 104).
« Nous constatons d’ailleurs, à l’époque actuelle, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, que la coopération apporte plus que l’antagonisme. Ainsi, les échanges scientifiques planétaires et les transactions internationales sont plus fructueux que les affrontements. La guerre rapporte moins que le commerce » (page 105).
Néanmoins, il faut tenir compte que « l’Europe est faite de plusieurs cultures différentes, qui ne cessent de se frotter les unes aux autres. Sa force réside (justement) dans la mosaïque contrastée des pays qui la composent… Etre dans la même Union, ne veut pas dire être tous pareils. L’Europe devrait sans doute mieux exploiter le fait qu’elle est riche de sa diversité, par la convergence des cultures et non l’amalgame. A chaque pays d’apporter son patrimoine culturel, ses traditions et ses goûts… La solidarité résultera du rassemblement des différentes cultures qui composent l’Europe, sans que les identités des nations soient écrasées, du partage de compétences complémentaires et de l’expérimentation de la variété des solutions proposées » (page 187)
Pour une meilleure compréhension mutuelle et coopération entre les cultures, il est déterminant que chacun s’intéresse aux autres, respecte la dignité de ses partenaires et cherche à trouver un terrain d’entente avec eux et que l’on « renforce les solidarités entre les pays, resserre les liens et suscite des coopérations » (page 186). Il serait d’ailleurs vain de faire obstacle à la compréhension et au rapprochement entre nos cultures, car, toutes façons, nos enfants vivront inévitablement en citoyens du monde, dans le « village planétaire », riche de ses diversités.
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