Lorsqu’on demande à des étrangers comment ils perçoivent la France, ils disent souvent qu’ils se la représentent comme caractérisée par :
- un intérêt pour la qualité de la vie, un esprit hédoniste et un « art de vivre », que traduisent notamment l’excellence de son alimentation, l’élégance, le raffinement et le luxe,
- une habileté verbale, que traduit une propension aux discours brillants,
- des déférences à l’égard d’une hiérarchie directive… en même temps que d’incessantes réactions de contestation des règles et d’indiscipline,
- une mise en valeur des réussites individuelles… et une faible prise en considération des intérêts collectifs et du travail coopératif en équipe.
On peut pourtant faire, en France, des constats qui contredisent toutes ces affirmations. C’est sans doute dû au fait qu’il n’y a probablement pas de pays intrinsèquement plus divers que la France. En effet, la France est naturellement une nation composite et plurielle, traversée de multiples clivages, ainsi que Pierre Alain Lemaître montre dans son livre « Rencontrer les Autres… cultures autour du monde ». Il en relève principalement cinq :
Tout d’abord, la France est un pays assez étendu, où la densité de population est suffisamment faible pour avoir laissé se perpétuer des particularités locales. Elle est ainsi une mosaïque de cultures régionales concurrentes, aux racines historiques et aux mœurs très différenciés. Les populations locales ont de forts sentiments d’appartenance à leurs « provinces » et un attachement à leurs usages spécifiques… Face à ce morcellement, les décisions viennent, en France, d’un système politique très centralisé, héritier de la longue histoire de la construction de l’unité nationale. Celle-ci provient, en effet, de l’action d’un pouvoir royal qui a étendu lentement son emprise sur le tissu social. D’où la difficulté à adopter des fonctionnements décentralisant les pouvoirs.
Il y a ainsi, en France, un second clivage, au moins depuis la Révolution, qui résulte de l’opposition entre une élite aristocratique, marquée par le catholicisme et héritière de l’ancien régime, qui cultive encore une valorisation de la noblesse de l’honneur… et un peuple républicain, révolutionnaire et défenseur de la laïcité, dont le comportement est souvent caractérisé par l’indocilité et la contestation. D’où des relations pyramidales hiérarchiques descendantes, inspirées de l’église catholique et de l’armée. Il en résulte une domination par une élite politique et économique parisienne, relayée par une Administration toute-puissante, souvent bureaucratique. Cette élite constitue un milieu fermé, demeurant principalement dans l’ouest parisien. C’est attesté par le fait que 63 % des personnes citées dans le « Who’s Who », sont natifs des beaux quartiers de la capitale et de Neuilly. Leurs enfants sont incités à suivre les « grandes écoles » prestigieuses (de Polytechnique, créée par Napoléon, jusqu’à l’E.N.A., école constituée après la seconde Guerre Mondiale, afin de faciliter l’accès populaire à la haute fonction publique !). Face à cette élite, le peuple se complait constamment à râler, protester, se plaindre, transgresser les règles et manifester, ce qui induit une obsession de la paix sociale.
Cependant, la France est aussi un pays ouvert au monde et qui s’intéresse à l’étranger, dont l’identité a été forgée par des apports extérieurs. Elle se veut une terre d’asile et a toujours accueilli des migrants, provenant d’autres pays et continents. Ce qui fait qu’elle s’est construite sur des vagues successives. Ainsi, entre la fin du dix-neuvième siècle et les années 1920, la France était le premier des pays d’immigration, avant les Etats-Unis. Pendant cent ans, de 1870 à 1970, la moitié de son accroissement démographique a résulté de « francisations ». La France est ainsi aujourd’hui, pour une large part, un peuple de descendants de l’étranger. Actuellement, un quart de la population française a des parents ou grands-parents étrangers. La France a, ainsi, des fondements cosmopolites. Sa culture est marquée par une volonté d’intégration. Chacun peut y rester lui-même, à condition d’adhérer à un modèle, fondé sur l’éducation, qui prône le respect de la cohabitation entre les diverses identités.
Le quatrième clivage sociologique de la société française, c’est la distinction et l’opposition entre la France fière de ses origines campagnardes… et les collectivités urbanisées. Jusqu’au milieu du vingtième siècle, la France, pays riche de ses terroirs et gâté par la nature, était majoritairement rural, l’un des plus agricoles des pays occidentaux. Les cultivateurs constituaient la majorité de la population… Le bouleversement d’urbanisation a été amorcé par l’épouvantable saignée de la Première Guerre mondiale et s’est poursuivi, après la seconde guerre mondiale, avec l’exode rural. Il reste cependant bien des traces de ces racines, car il y a, dans l’esprit de la plupart des Français, un paysan qui sommeille, dont la culture traditionnelle persiste à avoir une résonance émotionnelle profonde. Elle est le fondement de la morale du dynamisme, de l’énergie et de l’effort, de l’intelligence pratique et du bon sens… Mais elle explique des tendances qui préparent mal les Français aux économies libérales modernes, notamment l’attitude défensive méfiante à l’égard de l’argent.
Une cinquième fracture territoriale a émergé ces dernières années, entre la partie de la population demeurant dans les grandes agglomérations… et la France dispersée des villages et villes moyennes… Il a été accru par l’éloignement des classes moyennes, repoussées des villes par l’augmentation des prix de l’immobilier. Un quart de la population vit ainsi dans les territoires des périphéries urbaines et de la campagne. Ce qui les rend dépendants des capacités de déplacement, donc de la voiture. Ils souffrent de la stagnation et de la précarisation de leur situation, ne maîtrisent pas la concurrence internationale à laquelle ils sont confrontées et se sentent menacés par la mondialisation et délaissés… et sont préoccupés par la défense de leurs propres intérêts. Leurs préoccupations s’opposent à celles des habitants des grandes villes et de leurs banlieues, souvent plus éduqués, qui sont plus ouverts aux compétitions mondiales.
La majorité des Français vivent ainsi une superposition d’appartenances à plusieurs groupes. Ne peut-on pas, par exemple, être descendant d’agriculteurs, attaché à la terre où l’on a vécu enfant, fils d’instituteurs défenseurs de la République laïque, marié à quelqu’un issu d’une famille d’immigrés, domicilié dans la région parisienne… et formateur ayant eu à conduire, entre 1971 et 2016, des actions d’étude, de conseil et de formation dans plus de 70 villes françaises de l’hexagone et d’outre-mer… et à l’international ?
Dans un tel contexte, chacun doit organiser la coexistence de ses multiples identités personnelles… et les antagonismes sont inévitables, source de de discordes et de divisions…
Cependant, la majorité des Français partagent quelques valeurs, qui fondent leur cohésion :
- l’adhésion simultanée aux valeurs contradictoires de la liberté et de l’égalité ;
- un obsédant besoin de sécurité et évitement des risques, recherche de stabilité et de protections, formalisation de règles écrites… et exigence d’avantages personnels irréversibles ;
- la mise en avant de l’éducation scientifique, des conceptions intellectuelles idéalistes, de la logique, de la raison, des mathématiques, de l’abstraction, des théories et de l’esprit critique.
La plupart des Français partagent également la valorisation de l’intuition, de l’originalité, de l’imagination, de l’inventivité, de la créativité et de l’improvisation… Cette tendance repose sur leur non-conformisme, qui valorise la propension à penser de travers… Elle induit, chez les Français, une attitude paradoxale à l’égard du changement, de la flexibilité et de l’innovation.
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