L’Allemagne reste une nation dont l’unité est relativement récente, constituée de provinces (Länder) et marquée par des diversités. Toutefois, cette organisation décentralisée est contrebalancée par une culture partagée, qui fait la force de l’Allemagne. Ainsi, au travail, « la plupart des Allemands sont loin de l’idéalisme. Plutôt que de s’étendre sur ce qui est intellectuel et conceptuel, ils accordent surtout de l’importance au matériel. Ils ont le souci du concret, du réalisme, du pragmatique, de l’utile… et ils ont tendance à s’appuyer sur les faits… Cela peut surprendre, dans un pays marqué, par ailleurs, par son intérêt pour les arts et les philosophies métaphysiques… », note Pierre Alain Lemaître dans « Rencontrer les Autres… cultures autour du monde » (page 151). Cela le conduit à citer toute une série de caractéristiques communes qui lui font percevoir « la société germanique comme une gigantesque machine, totalement dédiée à son ouvrage » (Page 160).
La cogestion est à la base de la culture allemande unificatrice : « On peut être surpris, dans les entreprises allemandes, par les relations fondées sur le consensus social… On consulte les opérateurs, on les écoute et on recueille leurs suggestions. Il y a donc beaucoup de réunions avec le personnel. On y respecte les règles de la concertation. Un dialogue « naturel » s’instaure. Le but est d’aboutir à des décisions collectives. A la fin, il faut un… compte-rendu précis… définissant tout ce qui est à faire et à qui ça incombe. Une fois la décision prise, on s’y tient » (page 150). « Ainsi, en Allemagne, la cogestion va jusqu’à l’approbation, par les syndicats, de la nomination des dirigeants ». Pierre Alain Lemaître cite ainsi : « un cas auquel je me suis heurté lorsque je travaillais pour une grande société chimique internationale. Un jeune polytechnicien français brillant avait été nommé, par la Direction Générale de l’entreprise, à la tête d’une usine allemande. Il ne pouvait admettre qu’il lui fallait, en arrivant, se présenter au syndicat, pour qu’il valide sa désignation ! Il avait été choisi par la hiérarchie et avait une telle image de lui-même et de sa légitimité, qu’il n’admettait pas que son affectation devait être entérinée par les syndicats » (page 151).
Dans « Rencontrer les Autres… cultures du monde », Pierre Alain Lemaître relève par ailleurs que la première chose qui l’a surpris, en travaillant avec des Allemands, c’est que « les plannings et les horaires étaient définis et suivis sous pression… Ainsi, en participant à l’élaboration d’un projet avec des partenaires allemands, mes interlocuteurs supportaient mal que tous les aspects des dossiers n’aient pas été envisagés… et avaient un extrême souci de ponctualité. J’ai ainsi relevé, chez mes collègues, une perception stricte et assez rigide de temps, l’intériorisation d’une exigence absolue de planification et de respect des horaires… Lors des réunions, quelques instants avant l’heure fixée, tous les participants convoqués étaient là… et attendaient que le plus ancien dans le grade le plus élevé les invite à s’asseoir, annonce le plan prévu, souvent détaillé au quart d’heure près… conduise les débats et fasse preuve d’autorité, en cas de divergences… Ensuite, j’ai relevé à plusieurs reprises qu’à l’heure annoncée pour la fin de la rencontre, le responsable annonçait que le travail prévu était terminé et déclarait la clôture de la réunion. Tout le monde allait alors boire une bière, dans la cordialité la plus irrespectueuse. Il n’y avait plus de hiérarchie jusqu’au lendemain. C’était le défoulement nécessaire, pour décharger les tensions de la journée passée à se contenir… Le plus surprenant était que le laisser-aller le plus incontrôlé… n’empêchait pas que, le matin suivant, tout le monde était à l’heure et au « garde à vous », respectueux de la hiérarchie… » (page 149).
Ainsi, « avec des Allemands, une… chose qui frappe, c’est leur discipline au travail. Presque tous obéissent aux ordres, intériorisent totalement les obligations, se conforment aux règles et aux directives de la hiérarchie… et suivent scrupuleusement les consignes » (page 157).
Tout commence peut-être par le fait qu’« en Allemagne, les salariés font leurs débuts à la base, en apprentissage. Leur formation passe par une intégration progressive dans la société. Ils bénéficient ainsi de cursus pratiques, à partir du terrain, dans lequel les enseignements sont donnés en alternance, avec le travail sur le tas. Ils y acquièrent des connaissances et compétences spécialisées, scientifiques et techniques » (page 150).
Ensuite, « couramment, les structures sont courtes et les niveaux hiérarchiques sont peu nombreux. L’encadrement moyen est responsabilisé… et la « maîtrise » a du pouvoir et une large autonomie » (page 155). Elle valorise le « robuste et le professionnalisme… et considère ainsi généralement qu’il suffit d’être compétent, travailleur et sérieux, pour réussir » (page 151). Le modèle culturel ainsi divulgué « repose sur… l’organisation, l’autorité et la rigueur… L’une des caractéristiques de la culture qui frappent, chez les germaniques, c’est le sérieux et le soin. La plupart d’entre eux ne veulent rien laisser au hasard et ont horreur de l’anarchie. Ils ont habituellement le souci de l’ordre, de la propreté, de la précision et de la méticulosité, jusqu’à la perfection et disent même souvent que « le diable est dans les détails… D’où l’importance de la définition de règles. Les consignes sont fixées dans le détail » (page 154).
Cette valorisation du respect des règles peut expliquer qu’il arrive aux Allemands « de manquer d’intuition, d’originalité, d’imagination et d’esprit d’initiative. Ils en sont d’ailleurs conscients, puisqu’ils disent, plus souvent que les Anglais ou les Français, qu’il est important d’apprendre aux étudiants à être indépendants d’esprit et créatifs. Tout ceci induit une difficulté à improviser ». Pierre Alain Lemaître l’a, par exemple, relevé « lors d’une soirée de détente organisée à l’occasion d’un colloque international qui se tenait à Francfort. Nous étions plus d’une centaine de congressistes, réunis dans le hall de l’hôtel. Des bus avaient été prévus pour nous transporter. Ils ne sont pas venus… Plus d’une heure après le rendez-vous, nous attendions toujours », quand le partenaire a dû susciter l’initiative de faire venir des taxis (page 158).
En Allemagne, à l’intérieur de l’entreprise, c’est le business qui importe. On le constate car ; concernant la rémunération, « les Allemands sont ceux qui optent le plus pour une récompense personnalisée (1/3 de primes individuelles) » (page 246). Puis, « ils considèrent que « ce sont les plus performants qu’il faut promouvoir » (page 247). Par contre, « en cas de réduction des effectifs, les Allemands… conservent les plus anciens, loyaux… et privilégient… le licenciement d’un jeune, dernier arrivé, pas très performant et dont le potentiel n’est pas avéré, ne serait-ce que parce qu’il a le plus de chances de retrouver un emploi facilement… Sinon, ils se séparent de celui qui est le moins bien inséré ou intégré dans la société » (page 248).
On pourrait en conclure que, si les Allemands et les Français réussissent à coopérer dans le développement de l’Europe, c’est peut-être à cause de la complémentarité de leurs modèles de référence. Celui des Français incite à protéger les salariés en Contrat à Durée Illimitée, en évitant de faire des vagues et à s’adapter, de façon imaginative, en faisant pression sur les jeunes et les vieux… N’est-il pas le négatif de celui des Allemands ?
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