Dans « Dépasser les antagonismes culturels Un défi vital pour le monde », Pierre Alain Lemaître nous invite à arrêter les diffusions de « fake news ». En faisant état de « vérités alternatives, en se référant au principe perspectiviste, selon lequel il n’y aurait pas de faits, mais uniquement des interprétations » (page 226), des dirigeants autoritaires et populistes, tels que Trump et Poutine s’y complaisent. Certes, « il y a toujours eu des mensonges, de la propagande, des calomnies… et des manipulations de la part de tenants des pouvoirs et de religions, pour influencer les peuples et obtenir leur consentement » (page 224). Mais, « aujourd’hui, cette tendance à la tromperie se généralise… Bien des gens transmettent même délibérément des données dont ils se doutent qu’elles sont inexactes, mais qui correspondent à leurs convictions et confirment leurs préjugés, ou qui occultent les faits qui les infirment » (page 225). Tout ceci aboutit à une multiplication des expressions de contrevérités… et d’opinions négatives tranchées, souvent malveillantes (dans le but de nuire), éventuellement diffamatoires, du genre « C’est « Black Lives Matter qui a provoqué les incendies de Californie », ou bien « Trump est le sauveteur de la planète, face à une coalition de politiciens pédophiles » (QAnon). C’est certainement lié au fait qu’« il est des civilisations dans lesquelles les ruses et même les duperies sont admises » (page 225)… On le sait depuis l’antiquité. Mercure n’est-il pas à la fois le dieu du commerce et des voleurs? Mais on découvre aujourd’hui que le libéralisme peut supporter, ou même inciter à la tricherie.

On peut citer de multiples exemples d’allégations visiblement fausses, telles que celles qui nient le réchauffement du climat, malgré la fonte des glaciers et de la banquise des pôles. Actuellement, les plus flagrantes sont celles qui affirment qu’il n’y a jamais eu d’épidémie de Covid 19, ou qu’elle est terminée, que les mesures préventives (masques, tests…) sont superflues et que les vaccins sont inutiles ou mêmes nocifs.

Le contexte culturel actuel marqué par l’individualisme, conduit alors au refus de toute astreinte raisonnable, au nom de la liberté : « J’ai le DROIT de prendre des risques si je veux ».

Cette propension est reprise et amplifiée par une multiplication des falsifications de textes, discours, images, ou vidéos diffusés. « Nous sommes… submergés de messages audiovisuels et informatiques qui déforment le réel et répandent… le tragique » (page 225). « La véracité des informations diffusées compte moins que leur capacité à se répandre… On exploite d’abord la crédulité des gens » (page 226).

De plus en plus, certains passent alors du doute légitime et du scepticisme constructif, à la défiance systématique et à la suspicion des autres, quelle que soit leur compétence et les fondements sérieux de leurs propos. Ils deviennent conspirationnistes (« on essaie de nous cacher la réalité ») et affirment l’existence de complots. Qui serait derrière tout ça ? Selon les discours, on impute la responsabilité du Covid 19 à la Chine, à ceux à qui ça profite (entreprises pharmaceutiques, banquiers, ou milliardaires du grand capital, désireux d’instaurer un ordre mondial), aux boucs émissaires éternels, juifs sionistes, francs-maçons, ou communistes… ou aux gouvernements qui, ayant la volonté d’instaurer une dictature, cherchent à dominer par la peur, s’en servent comme prétexte pour tester la servilité de la population et la faire taire. Il se constitue alors des groupes qui réunissent à la fois des nostalgiques du nazisme, des libertariens d’extrême droite et des anarchistes de gauche qui contestent tout, peut-être pour faire parler d’eux.  Leurs membres se prétendent plus lucides que les autres, ont la conviction de détenir la vérité, croient notamment aux soins alternatifs et critiquent des médias menteurs.

Ceci d’autant plus que les gens sont intoxiqués par les réseaux sociaux, sur lesquels ne circulent que des opinions, sans la moindre vérification des allégations, qui les confortent dans leurs croyances. Les messages y sont destinés à des groupes d’affinité déjà convaincus et s’appuient donc sur les idées préconçues, croyances et préjugés des destinataires. Et les expressions se font sur un mode qui parle à l’affectif, car « les informations qui passent le mieux sont celles qui s’adressent aux émotions, beaucoup plus qu’à la raison… On exploite les peurs des gens » (page 226). Ce qui aboutit à des condamnations sans appel et des exclusions de ceux qui ne partagent pas ces certitudes particulières. Il en résulte qu’il n’y a « plus d’examen critique et délibération, avant jugement. On en arrive même à croire ce que l’on sait être faux ! Ou, au contraire, on devient constamment sceptique et ne croit plus en rien… On aboutit au relativisme du « tout se vaut ». Il n’y a plus de réalité. Inutile de vérifier ! » (page 227)

C’est encouragé par les médias. T.V. et presse glorifient les discours de quelques dizaines ou centaines d’opposants (on fait ainsi des émissions et des articles de plusieurs pages sur la réticence à adopter les mesures barrières, qui ne mobilisent qu’à peine plus de 5 % des Français). De plus, les journalistes tiennent souvent systématiquement des discours critiques. Certains d’entre eux exploitent même des procédés inducteurs d’une déformation des informations :

– ils se servent de propos sous-entendus (« c’est un sentiment viscéral de la majorité »), ou d’assertions qui sèment le doute (« une réalité que la plupart des gens considèrent comme… »),

ils énoncent des sentiments et opinions personnels, comme si c’étaient des faits… et profèrent des jugements négatifs a priori, que rien n’étaye : « dispositions irrationnelles et idiotes », « donne l’impression de… », « une position honteusement éculée… un pic d’irrationalité »,

ils attribuent à d’autres les avis qu’ils énoncent (« le peuple a du mal à le croire », « la rancœur manifeste des citoyens »), sans qu’on sache parfois qui l’aurait dit « a été vue comme… » (par qui ?), « alentour, on s’impatiente »,

– ils emploient parfois des termes exprimant un préjugé dévalorisant : « l’avis de la populace »,

– ils assènent des interprétations, fondées sur des présuppositions ou des préjugés (« ça montre le vrai visage de… », « prouve leur incapacité à… ») et évoquent des relations causales, sans preuve : « ce qui alimente la conviction que… », « cela ne peut s’expliquer que parce que… »,

– leurs affirmations s’appuient sur des observations imprécises et des chiffrages approximatifs : « il y a des médecins qui le disent » (combien ?), « une population presqu’entièrement de cet avis » (dans quelle proportion ?), « ils préfèrent souvent » (quand ?), « rares sont ceux qui… » (quel nombre et proportion ?), ou ils citent des moyennes, sans tenir compte de la répartition,

– ils font des exagérations (« ils se plaignent de n’avoir droit à rien », « on constate une nette diminution »), ou des minimisations : « d’après des personnes supposées favorables »,

– ils emploient fréquemment des généralisations : « c’est un avis général » (de tous ?), « une tendance négative qui ne se dément pas depuis le début »,

– et cela débouche souvent sur des procès de croyances et intentions supposées : « ils cherchaient à… », « a effectué ces achats dans le but de… », « est venu vendre sa compétence »,

– avant d’aboutir à des négations de toutes possibilité de contradiction : « il est évident que… ».

L’état de confusion qui en résulte nourrit les polémiques et produit une agressivité, une virulence, une haine… et, notamment, une contestation toute autorité et une hostilité au pouvoir.

Il est devenu crucial que ceux qui défendent la liberté, l’égalité et/ou la fraternité luttent aussi pour l’authenticité, la vérité et la solidarité !

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