Nos enfants, jeunes « digital natives », passent plus de 6 heures par jour devant des smartphones, des télévisions dans leur chambre, des consoles de jeux, ou des tablettes, à envoyer des S.M.S., tweeter et tchater. Même sans parler des geeks (passionnés d’informatique), ou de la cyberdépendance, addiction compulsive de certains « accros », qui ne peuvent plus vivre qu’en permanence, sur leur ordinateur, il est clair que « la révolution informatique… a bouleversé nos existences, nos façons de travailler et même de penser… Les innovations technologiques… ont changé nos relations aux connaissances et à nos contemporains » (Pierre Alain Lemaître Dépasser les antagonismes interculturels, page 71). L’usage des technologies de traitement des informations et communication transforme complètement nos façons de comprendre les choses. C’est la transformation d’une civilisation.
D’abord, la télévision et les écrans ont contribué à nous immerger dans un monde d’images, dans lequel on n’échange guère que des photos. Nous sommes ainsi souvent dans l’apparence et le superficiel. Or, le visuel s’adresse à nos sensibilités et nos émotions, au détriment de la réflexion. Et puis, cela nous rend intolérants à l’inactivité et l’ennui, pourtant nécessaire pour faire le vide. Dans ce monde frénétique, nous n’arrivons plus à nous ménager des temps de pause… et nous zappons et sommes constamment plongés dans des distractions (séries télévisées…). Ainsi, « la fiction occupe… une part importante et croissante dans nos vies… Nous développons une fascination par le virtuel » (page 76). Nous finissons par croire que tout est possible. Ainsi, « nous ressentons… le besoin… de la confrontation au danger. C’est le succès… des thrillers, films d’horreurs et de vampires… On en arrive à l’angoisse de l’imminence d’une catastrophe », tout en se sentant impuissants (page 60).
Par ailleurs, « la mutation fondamentale du début du vingt et unième siècle est… la multiplication des connaissances humaines… disponibles… et la facilitation de leur diffusion…, qui permet une… accélération des échanges…, une mondialisation instantanée des savoirs… (qui) induit inexorablement une intensification des concurrences, puisque chacun peut… savoir instantanément quelles sont les demandes et les possibilités de tous, sur la terre entière » (page 68). Grâce à Internet, on a un accès gratuit à toutes les informations possibles, mais l’utilisation intensive d’Internet et l’inflation des sources et des informations que l’on traite ont alors de multiples effets. Il est facile de se procurer, par les moteurs de recherche, une quantité de données. Cela donne l’illusion du savoir et le sentiment qu’il est inutile de se souvenir (la mémoire en est moins bien entraînée et l’« esprit savant » est dévalorisé). D’ailleurs, sur Internet, les distractions sont incessantes, les incitations des alertes « push » des sites font perdre la conscience de l’objet de la lecture et le cheminement de la pensée est guidé, ce qui entraîne une tendance à la passivité. On surfe, par butinage. Nous devenons des picoreurs, adeptes du copier-coller, ignorant la propriété intellectuelle. De plus, les masses d’informations reçues sont décousues, souvent redondantes et de qualité variable. On peut avoir accès à des spectacles très crus, souvent violents. Il devient primordial d’être en mesure de trier la valeur des éléments collectés. Or, les Internautes ne savent pas toujours tirer profit de ce qu’ils apprennent. Pour choisir le contenu à exploiter, il leur faudrait une méthode de lecture en diagonale, de validation (bloquer des données non pertinentes) et de tri, pour sélectionner ce dont on a besoin et distinguer l’essentiel de l’accessoire.
Avec la diffusion d’outils portables multifonctions (plus de 3,5 milliards de smartphones vendus dans le monde), les échanges par téléphones et e-mails accoutument à une multiplication des contacts superficiels et passagers avec des inconnus. On échange des messages simplistes et brefs, souvent formatés (du type « taka… ») et des icônes. On en perd la dextérité dans l’emploi du langage écrit. Cela provoque à la fois une coupure avec les proches, notamment la famille… et une recherche insatiable de relations. Cependant, plus on compte d’« amis », moins on a d’échanges interpersonnels, dans la vie. Il en résulte des difficultés à communiquer avec empathie et, en définitive, des déficits de liens avec de vraies personnes. Et puis ce peut être un terrain d’intoxication et contamination par des idées perverses et d’acharnement pouvant aller jusqu’à inciter au suicide. Ce qui suppose d’apprendre aux enfants à prendre des précautions (pseudos et mots de passe, ne pas répondre à ceux qu’on ne connaît pas, prendre garde aux traces numériques qu’on laisse sur la toile…).
Avec ces contacts fugitifs, nous sommes constamment dans les actualités instantanées, « dans la culture de l’immédiateté…, sous la dictature de l’urgence… On en vient à ne plus vivre que dans l’instant… et à ne plus valoriser que la nouveauté… Ce qui fait de nous des impatients chroniques » (page 76). Il en résulte « un besoin constant d’être « branché » en permanence, … une obsession de la continuité des relations par S.M.S., e-mails, ou tweets… et un souci permanent de l’immédiateté des réponses. On est constamment à la fois soucieux de… garder la connexion, d’une moindre disponibilité et, dans les faits, d’une moindre attention à l’autre » (pages 75/76). Cela modifie notre perception du temps. Nous n’avons plus le temps de réfléchir. Et nous rejetons le passé, jugé « has been », considéré comme obsolète, ou même sénile.
Toutes ces connexions ont fait succès de la constitution de réseaux sociaux internationaux, qui sont l’occasion d’une multiplication des contacts… au sein de groupes d’affinité étendus. L’appartenance à ces réseaux reflète et renforce la quête de faire parler de soi (cf. Facebok), de s’affirmer, de « faire la différence » et d’être distingué et la recherche égocentrique compulsive d’appréciations et de notoriété. « Chacun a la préoccupation… d’être reconnu par les autres (cf. nombre de « like ») … L’homme ne s’est jamais autant montré et, en même temps n’a jamais autant usé de masques… Les individus passent plus de temps à médiatiser leur existence, faire savoir les évènements qu’ils vivent, plus qu’à les vivre… Il en ressort… un attrait pour la société du spectacle et la mode…, un souci ostentatoire de soigner son apparence…, d’intéresser les autres…, comme si son image personnelle donnait du sens à sa vie… D’où un certain « exhibitionnisme » : on se confie, on met en avant sa subjectivité, on fait étalage de ses sentiments intimes… et on craint de ne pas être à la hauteur et d’être rejeté… Faute d’un apprentissage de points de repère pour trier, on a tendance à la fois à être de plus en plus méfiants, à ne plus croire à rien… et à être crédules. Ce qui laisse passer n’importe quoi (cf. fake news et complotismes) » (page 75). On aboutit à une tendance à croire aux rumeurs et au rejet de ceux qui n’ont pas les mêmes idées, ne partagent pas la même identité.
Enfin, pratiquer, à longueur de journée, des jeux vidéo d’action augmente certaines capacités : appréhension sélective multitâches, concentration intense pendant une durée courte, réactivité rapide aux stimulations sensorielles, fluidité, agilité et vélocité. Mais, en même temps cela induit une pensée fragmentée, n’entraîne pas au raisonnement structuré, approfondissant la compréhension des choses, fondé sur la prise de recul, l’alternance entre analyse et synthèse… et cela n’habitue pas à se concentrer durablement (on parle alors de Trouble du Déficit de l’Attention, ou T.D.A.). Ces activités ludiques, ont un effet bénéfique pour évacuer ses tensions, mais elles peuvent faire croire que tout est permis et inhibent les réactions émotionnelles. Dans un univers virtuel, on s’amuse avec des violences extrêmes, car tout est réversible. On aboutit à la fois à une fascination des catastrophes et à un déni du tragique. « Ce monde immatériel donne un sentiment de toute-puissance et l’ambition de tout maîtriser… Pour gagner, on passe ses journées à simuler des destructions… Alors même que s’accroit l’exigence de la diminution de la moindre souffrance » (page 76). Les sentiments en sont bridés, gommés, refoulés, dissimulés… et explosent parfois en comportements agressifs incontrôlés.
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