Nous pouvons nous interroger sur la valeur réelle de nos ressources financières, sur la progression massive de l’endettement mondial, sur les détournements par l’évasion fiscale, sur les transferts des rôles économiques vers les banques centrales, sur l’effritement de la rétribution du travail… et des risques entrepreneuriaux, sur la multiplication des placements spéculatifs hasardeux et le creusement des inégalités. Qu’en penser ?

Ceux qui nous emploient nous versent de l’argent. Mais que vaut cette monnaie, qui nous fournit des moyens de paiement de nos achats ? Pour qu’on puisse l’échanger, sa valeur doit être relativement stable, donc garantie. Or, depuis cent ans, on a adopté la monnaie fiduciaire, presque exclusivement « scripturale » (sous forme d’écriture sur des comptes). Elle est censée pouvoir être convertie en liquidités, mais il n’y a plus que quelques % de la masse monétaire qui puissent l’être. Les montants qui figurent sur nos comptes ne reflètent que les informations que nous recevons sur ce que nous sommes censés avoir, dont la valeur dépend de la confiance dans la monnaie. Et celle-ci est fragile, car elle dépend des informations diffusées et rumeurs la concernant. Les sommes que nous possédons et échangeons n’ont pas d’autre valeur que celle que nous lui attribuons. Cela laisse la place à bien des fraudes et tricheries. Ce qui implique qu’il existe des régulations et des contrôles, à l’échelle mondiale.

Or, « le pouvoir régalien de création monétaire a été transféré au privé. La majeure partie de la monnaie est générée par les banques, lorsqu’elles accordent des crédits, en s’adossant, notamment, sur les avoirs stables sur les comptes de leurs clients. Cet argent, qui est censé continuer à exister est, en quelque sorte, dupliqué par les prêts » (« Dépasser les antagonismes interculturels Un défi vital pour le monde », pages 97 et 98). L’évolution de la masse monétaire, ne dépend plus de la décision de l’Etat (la « planche à billets » d’autrefois). Les banques centrales, qui sont des établissements indépendants et ne dépendent plus des gouvernements démocratiquement élus, sont censées superviser l’évolution de la masse monétaire et garantir sa valeur. Mais, ces banques centrales sont aussi prêteuses en dernier ressort. Pour soutenir la croissance économique, elles accordent, aux banques, des refinancements, qui sont actuellement à des taux d’intérêts très faibles et voire négatifs. Cela permet aux banques de proposer des crédits à quelques % d’intérêt… Les banques centrales, qui sont censées assurer la sécurité de l’économie, ont ainsi induit une distribution massive de liquidités.

Il en résulte un fort accroissement des endettements mondiaux, qui sont, actuellement de 2,5 fois le PIB annuel. Le monde n’a jamais été aussi endetté en temps de paix…

Pour soutenir la croissance et remédier aux impacts sociaux de la mondialisation, les gouvernements des pays ont dû, au cours des dernières années, effectuer des transferts qui ont durablement grevé leurs équilibres budgétaires. Les dettes et déficits public s’étendent. On peut être inquiet, avec la tendance à la baisse des recettes fiscales et sociales. Surtout que…

Avec la mobilité des capitaux, se sont instaurées des concurrences entre les pays, qui ont ouvert, aux entreprises multinationales, la possibilité d’évasions fiscales, notamment en décidant de la localisation de leurs profits, afin d’être moins imposées, en jouant sur les prix des transferts entre leurs établissements et sur l’endroit où elles détiennent leurs droits de propriété intellectuelle. Ce qui prive les pays où elles ont leurs activités des ressources budgétaires nécessaires. La capacité de remboursement des Etats est ainsi amoindrie par l’existence de paradis fiscaux, qui permettent, à des entreprises et des personnes fortunées, d’échapper à leur participation au financement des infrastructures des pays où ils effectuent leur activité.

Là-dessus, la crise sanitaire du Covid 19 a nécessité la mise en place de plans massifs de soutien, pour protéger les plus faibles, mieux doter les systèmes de santé et éviter l’effondrement de l’économie (financement public du chômage partiel lors du confinement, prêts aux entreprises garantis par l’Etat…). Ces programmes reposent sur l’endettement des Etats (qui est passé de 85 à plus de 100 % du PIB). Les banques ont souscrit à la dette publique et revendu leurs obligations aux banques centrales, qui ont acheté ces titres avec une monnaie qu’elles créent ex nihilo, sans contreparties. La « base monétaire » a ainsi augmenté d’environ 1000 milliards d’€ en 2020. Cela entraîne plusieurs effets pervers :

  • Un alourdissement de l’endettement. Les banques centrales conserveront cette dette à leur actif, jusqu’à son terme et la renouvelleront à échéance par une nouvelle injection de création monétaire. Doit-on penser à l’annulation des dettes publiques ? Avec quelles conséquences ?
  • L’augmentation du poids des banques centrales, dont les bilans avaient déjà triplé, en dix ans. Celui de la B.C.E. représente ainsi 40 % du PIB de la zone euro. Cela ne déplace-t-il pas le pouvoir sur l’économie, des Etats aux banques centrales, puisque la B.C.E. détiendrait aujourd’hui 20 % de la dette publique française et 26 % de la dette publique allemande ?
  • Cela contribue au maintien de taux d’intérêts nuls ou même négatifs, qui…
  • Ruine progressivement les épargnants, ce qui provoquera inévitablement des réactions, à l’image de l’opposition de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe à l’augmentation du soutien de la B.C.E., au nom de la préservation de l’épargne des Allemands ;
  • Fait que le risque n’est plus valorisé. Les entreprises peuvent survivre en s’endettant, ce qui multiplie les « entreprises zombies », qui mobilisent du capital et font travailler des gens sans créer de richesse pour la collectivité. Ce qui affaiblit notre potentiel de croissance.

Avec cette crise du Covid 19, les gouvernements ont donc mis en plans des plans de soutien de l’économie en distribuant, à la population, de l’argent qui ne correspond ni à un travail, ni à une production (cf. chômage partiel financé par l’Etat). Ce qui aboutit à des allocations de pouvoirs d’achat, sans contrepartie. On n’est plus dans la correspondance entre revenus et activité. Ne risque-t-on pas, progressivement, de ne plus trouver personne pour faire ce qui est nécessaire ?

L’endettement soutenu par les banques centrales a abouti à une importante distribution de fonds. Les gestionnaires des placements ne savent plus trop quoi faire. Cela alimente des comportements spéculatifs, sur les marchés financiers. Il faut dire qu’à l’issue de la crise économique de 2008, les investisseurs « ont pu en déduire qu’ils n’avaient presque rien à redouter, en cas d’échec… Sentiment d’impunité…, culture d’avidité… sont devenus les ressorts déterminants de la finance » (page 94). « Le seul objectif des entreprises… est de maximiser la valeur pour les actionnaires… Une sorte de culte de la cupidité facile… refus d’admettre qu’une entreprise puisse avoir… un autre but, que le profit immédiat » (page 90). La seule préoccupation est de dégager la rentabilité maximale des fonds propres, à court terme. Ainsi, des entreprises ne se servent pas des prêts qu’on leur consent pour investir, mais pour racheter leurs actions, ce qui en augmente la valeur en bourse, au bénéfice des actionnaires et des dirigeants commissionnés selon l’évolution du cours des actions, ou auxquels sont attribués des stock-options… De toute façon, avec des mécanismes tels que la titrisation, on ne sait plus ce que l’on achète, qui possède quoi et qui court les risques. Cela aboutit notamment à :

– une surévaluation des prix des actifs financiers et de l’immobilier, qui rend difficile l’acquisition des logements dans les villes et accroît les inégalités des patrimoines hérités, entre quelques individus toujours plus riches et la majeure partie de la population mondiale ;

– un développement rapide des marchés de produits « dérivés », répliquant des indices boursiers, dont la valorisation est fondée sur des objets virtuels, qui auraient aujourd’hui une taille de près de 5 fois le PIB mondial ;

– une progression de la valeur des entreprises qui ne reflète plus leur capacité à dégager des bénéfices. Le rôle des Bourses est censé être de fournir des moyens financiers à des projets entrepreneuriaux. Les cours des actions devraient donc correspondre aux dividendes futurs actualisés. Mais, aujourd’hui, l’accroissement des gigantesques capitalisations des GAFAM et de Netflix n’est pas fondée sur leur rentabilité, mais sur une espérance de profits à terme ;

– l’apparition de Spac (Special Purpose Acquisition Companies), introduites en Bourse avec pour seul objectif de lever rapidement d’importants montants, dans le but d’acheter une société.

Mais comment arriver à ce que les sommes disponibles soient attribués à des projets utiles, répondant aux besoins de l’humanité… et pas seulement en fonction des profits des intérêts privés ? Il importerait de ne pas perdre de vue l’intérêt général, donc de ne pas abandonner les choix politiques aux marchés financiers. Cela suppose une entente internationale pour instaurer à cette fin des règles et surveillances communes.

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