Les observateurs étrangers comprennent et admettent souvent mal la laïcité. C’est sans doute dû à des ambiguïtés et des déformations de ce modèle. Ce qui nécessite quelques clarifications, comme celles citées dans « Dépasser les antagonismes culturels Un défi vital pour le monde ».
A la base, la laïcité à la française défend avant tout « une liberté individuelle authentique et une égalité de traitement de tous…, sans distinction de conviction spirituelle, de sexe, d’orientation sexuelle, ou d’origine… et sans restriction religieuse ou culturelle ». Elle garantit… « le libre exercice des cultes…, la possibilité pour chacun de vivre sa religion dans la paix… et la liberté de conscience (que chacun puisse librement choisir d’avoir ou pas une religion et de décider éventuellement d’en changer), sans craindre d’être discriminé pour cela » (page 209). La laïcité reconnaît donc la liberté de chacun d’affirmer ses convictions. Elle assure… à tout individu le droit d’être comme ne sont pas les autres. Le principe fondamental de la laïcité c’est donc « la tolérance et même l’acceptation et le respect des croyances de tous ».
Les ambiguïtés de certaines interprétations de la laïcité introduisent des doutes dans les esprits.
Tout d’abord, la République représentant tous les citoyens, la laïcité suppose le non engagement religieux visible… et la neutralité de l’Etat, qui ne doit pas intervenir dans les affaires de religion, sinon comme arbitre, en veillant au respect de la loi… Il est primordial que les services publics soient à l’abri de toute accusation de partialité. Ce qui leur interdit toute manifestation religieuse (notamment le port du voile, ou le refus de servir une personne du sexe opposé). Ainsi, l’école accueille-t-elle, sans discrimination, les croyants et athées de toutes origines.
Cela peut induire des attitudes paradoxales de l’Etat dans sa reconnaissance de l’existence des religions. Certains en ont conclu que les services publics n’ont à connaître aucun culte. D’autres affirment qu’il incombe à l’Etat d’admettre « la spécificité du fait religieux et… sa place dans la société ». Il lui faut être conscient que « l’homme est ainsi fait qu’il peut ressentir le besoin d’une transcendance spirituelle ou d’une immanence porteuse de sens… La laïcité n’est que la distinction entre la religion et l’action de l’Etat, pas la séparation entre la religion et la vie sociale. L’Etat est laïc, pas la société… L’Etat peut donc admettre que l’appartenance à des groupes ethniques et religieux est légitime… D’autres prônent la reconnaissance par l’Etat de « tous les cultes, du moins tant qu’ils n’empiètent pas sur la liberté de la pratique des autres cultes… Les institutions publiques, bien que neutres spirituellement, ont donc à respecter toutes les religions et même à en reconnaître les institutions, les rites et les prescriptions » (page 216).
La laïcité laisse ainsi parfois la place à des interprétations discutables, qui peuvent conduire à des attitudes contestables. Par exemple, concernant la visibilité extérieure des engagements religieux, cela peut aller jusqu’au bannissement du port de signes religieux, alors que rien ne s’oppose à l’acceptation des manifestations de sa Foi en tous lieux, à condition que cela ne trouble pas l’ordre public… Ce qui conduirait au refoulement des croyances religieuses dans la sphère privée… et/ou induirait des assertions qui font obstacle à la compréhension de l’autre, telles que « tenter d’expliquer c’est déjà excuser ».
Pour assurer le respect des convictions de chacun, la laïcité doit « s’opposer aux revendications des minorités, qui exigent, au nom de leurs groupes d’appartenance, un droit à la différence, donc un traitement particulier, en fonction de leurs « impératifs religieux » (affichage de ses croyances, repas spécifiques dans les cantines, apartheid sexuel dans les piscines publiques, droit de regard sur les programmes scolaires d’histoire et d’instruction civique…), du moins lorsque cela va à l’encontre de l’intérêt collectif. La laïcité ne saurait tout permettre.
Pourtant, la laïcité n’a pas de volonté d’exclusion… Ce serait même contraire à son fondement, car défendre la laïcité contre une religion particulière serait un déni de son objet.
Toutefois, la laïcité ne saurait autoriser la domination des esprits par la religion. Elle défend des valeurs telles que la liberté, l’égalité, les droits de l’homme, la justice, l’exercice de la raison et de l’esprit critique, la démocratie, l’humanisme, la solidarité et l’entraide. L’école publique gratuite, laïque et obligatoire est alors incitée à transmettre et partager la connaissance des savoirs scientifiques et historiques, tels que la théorie de l’évolution ou l’égalité entre filles et garçons, qui peuvent contredire des discours religieux. Il lui revient aussi de diffuser une éducation émancipatrice, notamment des jeunes filles, donc la liberté d’apostasie (de pouvoir abandonner une doctrine et changer de religion). Ce qui peut heurter certaines certitudes.
Enfin, la laïcité française suppose l’assimilation au sein de la collectivité nationale et non la juxtaposition des groupes, chère aux ultra-libéraux anglo-saxons, pour laquelle « l’Etat doit considérer les citoyens comme étant totalement libres de leurs opinions et de leurs engagements. Cette forme de laïcité… est une combinaison de laisser-faire et de bienveillance… dans une société multiculturelle… Ce relativisme… consiste à organiser la coexistence des « diversités » … et s’incliner devant les tabous, pour ne contrarier personne » (page 217).
Il existe aussi des déformations de la laïcité et, notamment, des positions non conformes à la tolérance et la liberté de conscience, chez certains de ceux qui disent parler au nom de la laïcité.
A un extrême, des athées considèrent la religion comme étant une source d’obscurantisme et d’oppression, donc un fléau à combattre. Ils disent alors soutenir la laïcité en tant qu’elle fait obstacle à l’influence religieuse. Ce n’est guère conforme avec la tolérance de la laïcité !
A l’opposé, d’autres notent que le discours républicain neutre peut être ressenti par des partisans « comme un signe d’exclusion de leurs préoccupations, voire même de complicité et d’oppression ». Ce qui conduit certains à affirmer « que l’Etat laïc doit protéger les croyances des citoyens. Il lui incomberait de veiller au respect de l’interdiction de critiquer les religions, quitte à ce que cela aille à l’encontre de la liberté d’expression des opinions » (page 217). Cette position, a été jusqu’à crier à la stigmatisation des musulmans, à l’islamophobie, voire au « racisme d’Etat ». Que reste-t-il là de la liberté de conscience ?
Enfin, en principe, la laïcité protège les « droits » des minorités discriminées en raison de leur religion. Elle est, pour cela, fondée sur la loi et inclut donc l’interdiction de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités et particuliers… « Cela suppose de subsumer les affiliations communautaires par une citoyenneté… intégratrice des différences » … La laïcité ne s’oppose pas à la constitution de communautés, tant qu’elles respectent le droit commun… Mais la doctrine républicaine ne reconnaît que des individus porteurs de droits et ne se réfère à aucune règle préservant un droit des communautés » (page 210). La laïcité ne reconnaît donc pas les croyances particulières qui prétendent être d’une valeur supérieure à celles de la loi et applicables à l’encontre de celle-ci. D’où le procès de la laïcité intenté par des extrémistes religieux. Il n’est pourtant pas une société dans laquelle on puisse accepter que les règles de certains leur permettent de transgresser celles qui fondent une cohabitation pacifique entre tous les citoyens et la conciliation entre leurs intérêts particuliers et l’intérêt général de la collectivité !
Pour préserver la liberté de chaque citoyen et faire obstacle à la tentation de certains d’éliminer les autres, la laïcité doit donc s’opposer aux revendications ou pressions extrémismes qui cherchent à imposer leurs doctrines… et à tout prosélytisme… Il lui incombe donc nécessairement un contrôle de l’exercice des cultes… Il lui faut être intolérante avec les intolérances, donc à l’égard des intégristes ».
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