On entend, souvent, des Français se plaindre de l’insuffisance ou même de la baisse de leurs revenus. Mais, à voir les autoroutes encombrées aux vacances, la dégradation de la situation de tout le monde est invraisemblable. En dehors de périodes de crise, il n’y a pas eu de diminution des revenus. Cette réalité est pourtant niée par des Français, convaincus d’un déclin et inquiets de l’avenir… Alors, quelle sont, en réalité, ceux qui souffrent, en France, de la pauvreté ?
Certes, la classe moyenne des pays développés connaît une stagnation économique. Et, si la moyenne des salaires a augmenté, en France, c’est surtout du fait de la hausse des revenus élevés, car, comme partout, dans le monde, les plus riches et ceux qui héritent sont actuellement avantagés. Mais les écarts entre les riches et les pauvres sont-ils si importants, en France ?
D’ailleurs, la France est un des pays les plus solidaires et égalitaires, doté du plus puissant outil de redistribution au monde : impôts progressifs (seulement 40 % de la population paye l’impôt sur le revenu), Revenu de Solidarité Active, allocations familiales, pour le logement et face au chômage, aides sociales, minimum vieillesse et subventions aux retraites, auxquelles 14% du PIB est consacré, etc. Sans compter l’accès gratuit aux services publics d’éducation et de santé, qui font qu’on est plutôt nettement mieux soigné en France, qu’ailleurs. Pour financer tout cela, il y a, en France, 56 % de dépenses publiques, plus de 31 % du PIB est consacré aux dépenses sociales, les prélèvements obligatoires font 48 % du PIB et les cotisations sociales pèsent de 36 % sur le salaire médian. Il en résulte qu’après les transferts sociaux, les écarts entre les niveaux de vie des 10 % les plus riches et ceux des 10 % les plus pauvres ne sont que de 1 à 6.
Tous ceux qui se disent pauvres, dans les pays développés, le sont-ils tant que ça ? Ne devraient-ils pas être conscients de la misère de certains autres, de celle qu’ont subie leurs propres ancêtres… et des avantages de leur situation. Qu’on me permette d’évoquer trois expériences qui aident, je crois, à remettre les choses en place :
– Tout d’abord, j’ai personnellement passé mon enfance dans la ferme de la famille de mes grands-parents. On n’y mangeait pas tous les jours à sa faim. L’électricité n’y est arrivée qu’en 1954. Avant, il n’y avait pas de lumière, on faisait la cuisine dans la cheminée, on tirait l’eau au puits situé au milieu de la cour et on faisait la lessive au lavoir… Il fallait bien se débrouiller !
– Je suis né à la fin de la seconde guerre mondiale, de parents instituteurs, à l’époque où la France, détruite, devait être reconstruite. Ce qui fait qu’on ressentait alors bien des manques. Il y avait encore des privations alimentaires. Les salaires de fonctionnaires étaient encore réellement bien inférieurs à ceux du privé. Nous vivions à 5 dans un 3 pièces… et nous faisions notre toilette dans une bassine d’eau chauffée sur le gaz, posée par terre au milieu de la cuisine-salle à manger. Nous arrivions juste, en économisant toute l’année, à nous payer le voyage pour aller en vacances, une fois par an, grâce à la chance de pouvoir être hébergés par la famille…
– J’ai, par la suite, travaillé dans des pays en voie de développement, où une large partie de la population était confronté à la misère. Je peux citer l’exemple des brodeuses indiennes de l’atelier de l’association que j’ai présidée, qui, avec 4 € par jour, faisaient vivre chichement leurs familles dans des paillotes de quelques m2, au sol en terre battue, sans eau courante…
Il n’empêche que le nombre des personnes touchées par la précarité ne cesse de croître. Ainsi, un tiers des Européens se retrouve en intérim ou C.D.D.… et vit dans l’insécurité économique et l’inquiétude permanente du lendemain… Il reste, en France, 8 % de gens qui, vivant sous le seuil de pauvreté situé à la moitié du revenu médian, soit à peine plus de 800 euros par mois, ont bien du mal à s’en sortir. Depuis dix ans, leur nombre aurait même augmenté de plus de 10 %, pour être de près de 5 millions. Leur revenu net moyen a stagné… Et il y a une augmentation du nombre des sans abri… Mais qui sont ces personnes atteintes par la pauvreté, en France ?
70 % d’entre elles sont en difficulté d’insertion sur le marché du travail, inactives, au chômage, ou sans emploi stable… et mal indemnisées. Pourquoi ? La majorité des pauvres font partie de ceux qui sont sans diplôme (dont le taux de pauvreté est de 11 % et non de 8 %), la moitié d’entre eux ayant au maximum le brevet des collèges. La pauvreté concerne donc principalement la partie peu qualifiée de la population, faute de formation. Il y a également ceux, souvent des femmes, qui sont à la recherche d’un travail et se découragent, car ils/elles ne font face qu’à de mauvaises conditions d’emploi (temps partiel contraint, bas salaires…).
Il existe aussi des « travailleurs pauvres », puisque 6 à 7 % des personnes sous le seuil de pauvreté ont des emplois, mais subissent un temps partiel, n’ont un bas salaire, ou seulement de travail une partie de l’année. C’est le cas de salariés qui gagnent entre le SMIC et le revenu médian, dont de nombreux agriculteurs… Il y a aussi des adultes handicapés, qui ne peuvent travailler normalement… et revendiquent le maintien de leur allocation, ou la création d’un revenu individuel d’existence décent.
Les analyses montrent que les pauvres sont souvent des jeunes, puisque la moitié d’entre eux ont moins de trente ans et même qu’un tiers des pauvres sont des enfants et des adolescents. Les deux observations suivantes l’expliquent.
Les trois quarts des S.D.F. seraient des demandeurs d’asile venant de l’étranger… et un quart des pauvres sont des immigrés. Cela touche ainsi près de 40 % des personnes des ménages immigrés, enfants compris. C’est, comme je le note dans mon ouvrage « Dépasser les antagonismes interculturels », pages 145/146, lié au fait que « les immigrés sont régulièrement confrontés à des discriminations, en raison de leur couleur de peau, de leur origine, de leurs moeurs, ou de leur religion… Il leur est difficile de trouver un travail, en particulier s’ils appartiennent à une minorité ethnique visible… Le nom et la couleur de peau sont, en effet, les premiers motifs de refus à l’embauche… Leur taux de chômage est supérieur à la moyenne, notamment en raison de la barrière de la langue… et du manque d’instruction… La main-d’œuvre importée ne peut guère accéder qu’à des travaux particulièrement durs et moins bien payés, que les populations locales ne veulent pas, ou abandonnent… Ils sont souvent les seuls à accepter… les postes… dans le bâtiment…, l’industrie automobile, la restauration, le gardiennage, le commerce, la cuisine des restaurants, le nettoyage des bureaux, tôt le matin et tard le soir… pour lesquels ils sont en concurrence avec les immigrés des vagues précédentes ». Il en sera, ainsi, tant que l’éducation qui permettait la mobilité sociale n’aura pas été réanimée.
Mais la pauvreté touche aussi surtout les mères ayant, seules, la charge de leurs enfants. Or, avec la diminution du nombre des mariages et la multiplication des maternités solo et ménages célibataires, des séparations et des divorces (qui ont triplé entre 1970 et 2004), le nombre des foyers monoparentaux (plus de 40 % en France, en 2018) a augmenté. C’est un fait de société. Entre 1975 et 2014, selon l’Insee, leur proportion est passée de 9 à 23 % des foyers… Or, les femmes isolées et chargées de famille ont des difficultés de retour à l’emploi. Sans qualification, elles n’accèdent souvent qu’à des fonctions en C.D.D. ou à temps partiel, peu rémunératrices et peu gratifiantes : garde d’enfants, aides ménagères, caissières des supermarchés, secrétaires, employées, soins aux personnes âgées, etc. Il en résulte qu’en France, près de 25 % des pauvres sont les membres des familles de femmes ayant, seules, la charge de leurs enfants !
Pour lutter contre la pauvreté, il convient donc de remédier aux inégalités de compétences et à l’insertion professionnelle des immigrés et des femmes ayant, seules, la charge de leurs enfants.
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