Ces cinquante dernières années, les confrontations armées se multiplient, notamment au Moyen Orient (Palestine, Somalie, Afghanistan, Algérie, Irak, Iran, Lybie, Soudan, Yémen, Syrie, Kurdistan, Arménie). Ne survivent que les plus forts. Trop souvent, la brutalité l’emporte sur la raison. Est-ce dû à la nature humaine, ou à une diversité de phénomènes divers ? Mais, alors, si, actuellement, l’entente entre les peuples est indispensable et possible, comment l’instaurer ?

Certains pensent que la perpétuation des conflits est inévitable, car ils sont dans la nature des hommes… Une propension au mal, sanguinaire, existerait, chez l’homme, conformément à la théorie de Hannah Arendt. Les hommes ne sont-ils pas souvent irresponsables, cupides, vénaux, racistes, malveillants, iniques et cruels ? De nombreux auteurs (Saint Augustin, Machiavel, Luther, Adam Smith…) ont ainsi développé des conceptions selon lesquelles les hommes seraient spontanément égocentriques, méfiants et hostiles aux autres. Pour la culture judéo-chrétienne, avec l’idée de « péché originel », le mal préexiste au bien, chez les humains. Pour ma part, je ne souscris pas du tout à cette conception, que reprend Freud, lorsqu’il dit, dans « Malaise dans la civilisation », que l’homme a un « besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer ». Il s’agit là, à mon sens, d’une conception artificielle, justifiant nos travers pervers. En effet, les études actuelles de l’histoire de l’humanité démontrent que l’interprétation de l’évolution comme étant une lutte pour la survie, dont ne subsisteraient que les plus forts, est une erreur. On sait aujourd’hui que des entraides ont été déterminantes dans la sélection. Ceux qui ont survécu ont protégé les leurs, ou au moins leurs progénitures. Il n’y a que par les alliances, y compris entre espèces, que les êtres vivants ont survécu. C’est leur aptitude à s’intégrer dans une communauté et coopérer qui a rendu les hommes en, mesure de dominer le monde.

Si je ne souscris pas à cette conception pessimiste, je ne peux pourtant que constater que les divergences entre les peuples sont inévitables, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il y aura toujours, entre les humains, des divergences d’opinions.

« Il adviendra aussi toujours qu’apparaissent, parfois, des intérêts contraires entre eux… Il est normal que chacun s’efforce d’améliorer sa situation… On peut comprendre que la tendance spontanée de chacun soit de chercher à en tirer parti, pour lui-même, sans se soucier des autres et de tenter de conserver ses avantages, parfois, au détriment des autres ». Il y aura toujours des égoïstes, qui agissent selon leur intérêt personnel, sans se soucier de l’intérêt général et qui tentent de s’approprier les biens d’autrui.

Il arrive aussi que des antagonismes résultent de la peur des autres et de la lâcheté. On s’engage alors dans des conflits, sous le prétexte de se défendre d’une agression venant de l’extérieur.

Ajoutons qu’aujourd’hui, plus que jamais, les compétitions entre les individus et les groupes s’intensifient. Cela fait que, comme le révèle des expériences que j’ai faites, « la plupart des groupes… s’enferment spontanément dans un comportement suicidaire d’antagonisme à l’égard des autres, qui leur est, en définitive, défavorable ». Pourtant « toute concurrence ne veut pas dire élimination ou, a fortiori, destruction d’adversaires… qui sont bénéfiques pour se renforcer… Les succès économiques du libéralisme… dans le développement des pays émergents, montre bien que la concurrence entre les peuples peut être profitable à tous ».

Il arrive aussi souvent que les réactions des hommes soient le produit de leur manque de réflexion et bêtise, de leur avidité, ou de leur malveillance.

Il arrive encore que certains, par orgueil, « surtout les plus forts, soient tentés, pour faire valoir leurs propres intérêts ou croyances, de dominer les autres, écraser les oppositions et user de la force, pour laquelle leur pouvoir économique ou militaire est déterminant ». Ils deviennent parfois alors des mégalomaniaques qui tentent d’exercer une hégémonie, dominer et s’assujettir les autres… et tentent souvent de diviser pour régner, afin de l’emporter.

Il arrive aussi que « des hommes tentent d’user de la violence, pour faire fléchir ou détruire leurs adversaires, parfois simplement du fait de rivalités fraternelles pour le pouvoir ».

Enfin, « il y a… des « salauds », des criminels, des fous meurtriers et des sadiques, tirant leur plaisir du mal qu’ils infligent aux autres, contre lesquels il faudra toujours lutter ». La méchanceté existe. Je l’ai constaté, en travaillant, pendant dix ans, sur les fraudes. Mes analyses faisaient ressortir que dix à vingt pour cent de nos contemporains se moquent des autres, que dix à vingt pour cent des gens sont scrupuleux et constamment soucieux de respecter les règles sociales et ne pas nuire aux autres… et que les soixante à quatre-vingt pour cent qui restent sont généralement fiables, mais aussi capables de saisir une occasion pour transgresser les obligations morales, ou faire un calcul erroné, afin d’en tirer un plaisir ou un avantage.

Il y aura donc toujours des tensions interpersonnelles… Cela ne signifie pas qu’elles doivent nécessairement déboucher sur des conflits… Ne peut-on pas les résoudre pacifiquement ?

Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les coopérations entre les peuples deviennent à la fois indispensables et possibles. Tout d’abord, les armements qui permettent des « destructions massives » sont accessibles à bien des pays. Tout affrontement pourrait éliminer toute vie sur la terre. D’ailleurs, depuis 75 ans, nous avons su éviter, avec la dissuasion, de nous détruire avec la bombe atomique. Par ailleurs, les échanges scientifiques et les transactions commerciales internationales deviennent plus fructueux que les affrontements.

Il devient alors vital de se soucier, ensemble, du collectif… Cela ne veut pas dire que « les conceptions et pratiques développées dans les sociétés modernes, pour pacifier les relations, soient pertinentes et suffisantes. Certaines prétendent évacuer de nos vies toute forme possible de différend ou de drame, en imposant la paix dans les esprits. Elles ne tolèrent l’expression d’aucun autre sentiment à l’égard d’autrui que l’accord désintéressé. Ce qui conduit à proscrire les affects et les émois. A les croire, il faudrait, idéalement, une vie neutre, sans frein dans les échanges, donc éluder l’altérité, source de malaises… Or, nous avons appris que les émotions que nous tentons de « refouler » ressurgissent négativement dans notre inconscient. Il est préférable de les reconnaître… »

Ais, inversement, nos désaccords ne devraient pas impliquer « le dénigrement mutuel systématique, qu’illustrent les positions des politiciens. On peut s’efforcer de comprendre, avant de critiquer. L’argumentation pour défendre ses positions n’en sera que meilleure. Ce n’est pas parce que nos idées s’opposent, que le dialogue entre nous ne peut pas être bénéfique. Au contraire, l’échange n’en sera que plus enrichissant ». Il est indispensable aussi d’obtenir que ceux qui possèdent plus, acceptent de partager, au moins une partie de ce qu’ils ont.

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