Depuis deux générations, le monde est traversé par des transformations que nous ne maîtrisons pas. Pour en appréhender le sens, il n’est pas inutile de se remémorer notre passé. Les guerres mondiales du vingtième siècle nous aident à discerner les raisons de nos évolutions actuelles.

La première guerre mondiale a coûté la vie à près de vingt millions de personnes, y compris les victimes civiles, sur une population mondiale d’1,8 milliards d’habitants. Elle a principalement impacté les pays belligérants européens, dans lesquels vivaient 25 % de la population mondiale et d’où proviennent 90 % des morts.

Cette guerre a bouleversé les équilibres du monde, surtout si l’on prend en compte son enchainement sur la grippe espagnole, qui a aussi fait au moins 20 millions de morts.

Les principaux effets de la première guerre mondiale sont :

– L’annihilation de la France, dont près de 4% de la population a été tuée (en particulier un quart des hommes de 20 ans) et même près de 5 %, si l’on inclut la grippe espagnole. Sans compter les agonies ultérieures des gazés, les nombreux estropiés, plus ou moins invalides et les « gueules cassées » traumatisés à jamais… Un tiers de la France était en ruines. Ses champs étaient souillés d’obus et de mines. Et le coût de la guerre avait arrêté l’élan de son économie. On peut comprendre la volonté de Clémenceau d’obtenir de l’Allemagne des réparations, mais aussi l’effondrement de l’évolution démographique de la France, entre 1914 et 1945. La perte de la moitié des hommes dans une France, encore majoritairement paysanne, explique aussi l’accélération d’un exode rural, compensé par une industrialisation croissante. L’avenir de la France était bridé.

– Durant la guerre, entre 2 et 3 millions de Russes furent tués. Cela créait un espace pour des décennies de bouleversements qui devaient avoir des retentissements mondiaux : l’expansion du communisme, la guerre civile, la fuite d’1,5 millions de Russes vers l’étranger, les famines en Russie (5 millions de morts en 1922), l’instauration de la terreur rouge, des camps de concentration et des goulags.

– La réussite des soviétiques suscita des tentations communistes dans toute l’Europe (spartakistes en Allemagne, Gramsci en Italie…). Ce qui provoqua une intensification des réactions d’extrême droite antisémites, débouchant sur l’émergence du fascisme et du nazisme… Parallèlement, des aspirations nationalistes à l’indépendance s’amorçaient dans les territoires annexes et colonies, dont les peuples avaient été mobilisés pour combattre (Irlande dès 1916, Canada, Inde, Maroc…). Elles furent encouragées par le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » promu pas W. Wilson, qui faisait craindre des pertes de territoires aux nationalistes. Dans les esprits, les affrontements entre idéologies prenaient ainsi la place des religions… et la tendance au nationalisme guerrier s’étendait.

En même temps, le traité de Versailles avait suscité des bouleversements et tensions :

– La destruction de l’Empire austro-hongrois avait créé des ambitions d’autonomie dans toute l’Europe centrale et les Balkans (Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie…). Celle de l’Empire ottoman avait introduit une perte de points de repère de référence dans le monde musulman et ouvert la porte à des conflits entre les peuples arabes qui devaient se prolonger. Cela contribua aussi au développement des nationalismes (cf. oppositions entre Turcs, Arméniens et Kurdes).

– La base culturelle de toute-puissance des germaniques (« nous sommes la guerre », cf. soutien populaire de l’armée), faisait qu’ils n’avaient pas le sentiment d’avoir perdu la guerre et n’étaient pas résignés. S’ajouta l’amertume et l’humiliation du désarmement, des sommes à payer qui ruinaient le pays (cf. inflation…) et de la recréation de la Pologne, avec un accès à la mer qui coupait l’Allemagne en deux. L’abdication de Guillaume II, remplacé par une république socialiste qui ne suscitait pas l’adhésion de la population, chez qui se renforçait une haine de la France, présageait d’un désir de vengeance et en préparait la réalisation.

– Simultanément, des attitudes ambigües, à tendance isolationniste, s’étendaient en Amérique, où demeuraient de nombreux immigrés provenant d’Allemagne. Le vote négatif du congrès américain, qui ne ratifia pas le traité de Versailles et la création de la S.D.N., en témoigne. L’Amérique souhaitait avant tout promouvoir son système libéral dynamique, au moins jusqu’à la dépression économique de 1929. Le pays recevait des populations venues d’une Europe où il y avait beaucoup de pauvreté, des affrontements entre groupes (cf. pogroms d’Ukraine), des surplus de femmes et 6 millions d’orphelins… Il apparut aussi qu’au retour d’Europe, des soldats noirs américains, qui avaient été traités sans racisme en France, amorçaient l’expression de revendications d’égalité. Dans ce contexte intérieur mouvant, on assista à la montée de courants visant à moraliser la société (cf. prohibition entre 1920 et 1933).

Les équilibres géopolitiques actuels résultent aussi, dans une large mesure, de la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle il y eut près de 60 millions de morts, dont les 6 millions de juifs exterminés par les nazis, soit 2 ,5 % d’une population mondiale de 2,4 milliards :

– La guerre, partie d’Europe, s’était déplacée vers l’Asie du sud-est, où il y a eu près de 30 millions de morts, soit 2,7 % d’une population de 1130 millions. Cela préparait et annonçait le basculement du pôle central du monde, de l’Atlantique au Pacifique.

– Tandis qu’en Europe, l’Allemagne avait été détruite et le reste de l’Europe était découragé. Notamment les plus grands pays, qui furent immédiatement confrontés à des guerres d’indépendance de leurs colonies, qu’ils avaient mobilisés pendant le conflit. L’Europe était contrainte à abdiquer de sa prééminence.

– Les pays d’Europe centrale furent bouleversés (9 millions de morts, sur 105 millions d’habitants, soit 8,5 %) et subirent, aussitôt, la main mise soviétique. L’est de l’Europe, qui avait perdu ses lignes de force trente ans plus tôt, était durablement maintenu sous tutelle. Tandis que la Russie, qui avait eu 25 millions de morts (15 % de la population) durant la guerre, était écartelé entre la volonté de prouver ses succès et sa difficulté à s’en donner les moyens.

– Pendant ce temps, l’Amérique du nord sortait d’une guerre, où elle avait eu relativement moins de morts que la plupart des autres, avec une industrie dynamique, dont le développement avait été stimulé par le conflit. Cela lui conférait une position mondiale dominante de fait, qu’elle n’assumerait que contrainte, par des interventions brutales, sans s’être toujours dotée des expertises nécessaires pour bien comprendre ses terrains d’action.

Quelles autres conséquences des conflits mondiaux passés pourraient encore nous aider à anticiper les évolutions du monde auxquelles nous devons nous attendre ? La convergence qu’ils dessinent n’annonce-t-elle pas un avenir d’entente et compréhension entre les peuples ?

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