La démocratie est menacée. Comme le livre « Dépasser les antagonismes interculturels, un enjeu vital, face aux défis mondiaux » le montre, elle est exposée à deux types de risques. Elle est d’abord mise à mal par le développement, depuis les années 1980, des excès de l’ultralibéralisme, qui privilégie l’individualisme, au détriment de la prise en compte des intérêts collectifs. Elle est aussi bousculée, aujourd’hui, par l’émergence d’une minorité qui privilégie un pouvoir populiste, démagogique, nationaliste et autoritaire.
Les sociétés libérales ne sont pas toujours démocratiques, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elles n’accordent guère d’importance qu’à l’argent, entraînent une obsession du court-terme et ne vivent qu’en stimulant la consommation, quitte à inciter à des achats inutiles. « Vivant dans l’instant, la majorité des gens finissent par considérer que tout est momentané et s’efforcer de tout arracher tout de suite… et se convainquent qu’il ne sert à rien de prévoir l’avenir… Ils dédaignent ainsi de… valoriser… l’impact social et environnemental de leurs actions… et même de réfléchir au réinvestissement de leurs bénéfices ». Ces sociétés négligent ainsi certains facteurs économiques déterminants, en particulier le rôle des femmes, qui, pourtant, « participent, par leur travail de procréation et leur entretien du foyer, au bien-être commun, sans que leur travail soit reconnu, rétribué ou comptabilisé ». Et, surtout, elles accroissent les inégalités sociales. « Avec le libéralisme, le souci du bien commun est alors remplacé par la quête des droits individuels… D’où… les tendances à l’individualisme » (page 161).
Chacun estime alors être le centre du monde (cf. multiplication des selfies), veut donner son avis sur tout et avoir toujours raison. Ce qui fait le succès des réseaux sociaux. Chacun considère qu’il a droit à tout. C’est la décomposition de la société et la dégradation du souci du collectif.
Cela induit les gens à vouloir participer eux-mêmes à la vie politique et faire pression sur le gouvernement. Ainsi, il n’y aurait plus que la moitié d’entre eux à défendre la démocratie représentative, tandis qu’un quart de la population revendiquent l’instauration d’une démocratie directe, permettant à chacun d’imposer, aux représentants élus, de prendre en compte ses demandes personnelles. En effet, il existe « deux formes de contrôle du pouvoir par le peuple, qu’il est primordial de concilier : la démocratie directe et la démocratie représentative… La souveraineté appartient au peuple. Les gens désignés pour administrer le pays sont ses serviteurs… » Dans certains domaines, « une participation directe est recommandable, pour élaborer et arrêter des décisions appropriées… Elle est utile pour faire valoir des préoccupations que les représentants ne percevraient pas, ou pour leur suggérer ce qu’il serait pertinent qu’ils envisagent. Elle est primordiale, aussi, pour veiller à ce que des élus n’agissent pas en fonction de leurs propres intérêts… ou lubies… L’action des élus doit être surveillée afin de s’assurer qu’aucun… n’agisse durablement à l’encontre des besoins de la population… Mais l’expression des avis de chacun… ne peut pas être permanente… D’abord, l’expérience montre que les démarches participatives mettent principalement en avant ceux qui ont du temps… et ceux qui se mobilisent pour défendre des intérêts particuliers, sans se soucier réellement du bien commun… Pour que la démocratie représentative fonctionne, l’intervention populaire directe (référendum, concertation…) doit rester exceptionnelle, en cas d’exaction grave des représentants et le droit de révocation doit être limité à des situations extrêmes. En effet, les dirigeants auxquels on a confié un mandat doivent pouvoir mener à bien le programme pour lequel ils ont été élus, sans risquer de destitution, à la moindre impopularité. Il leur faut parfois déplaire pour exercer le pouvoir … et avoir le temps de mener à bien les actions qu’ils engagent, parce qu’ils les estiment indispensables » (page 175).
Toutefois, dans un tel contexte, il arrive que des citoyens aient un sentiment d’être abandonnés ou pas correctement représentés, ou même méprisés. Il leur arrive de perdre confiance dans les dirigeants et de les critiquer systématiquement. Il n’est pas rare que les affrontements se radicalisent alors. Cela peut aller jusqu’à la remise en cause de la presse et même de l’Etat de droit et de la justice… Ce qui permet à des leaders de s’imposer, en prétendant représenter LE peuple, comme si celui-ci était toujours uni. Ils exploitent d’ailleurs les divisions entre les individualités et minorités, en flattant leurs singularités. Ce qui induit une société fractionnée et exacerbe les oppositions entre groupes… Ils manipulent l’opinion par des discours d’indignation mensongers, en disant à la population ce qu’elle a envie d’entendre. Ils prétendent ainsi à l’efficacité illusoire du protectionnisme, qui se retourne généralement contre ceux qui le pratique, en dégradant à la fois la compétitivité des industries locales et le pouvoir d’achat des classes moyennes. Ils diffusent ainsi des conceptions simplificatrices et, pour asseoir leur autorité, mettent en avant l’existence d’ennemis du peuple. Cela suppose qu’ils instaurent, pour rester crédibles, une censure de l’information. Tout échange rationnel devient impossible.
« Dépasser les antagonismes interculturels » montre, pages 169 et 170, que cette « culture des populistes a principalement trois caractéristiques :
– le souhait du maintien de la tradition (identité nationale…) et le conservatisme moral et en matière de mœurs, par des intégristes qui se présentent comme une minorité menacée : condamnation du féminisme, de l’avortement, des homosexuels, des théories de Darwin, apologie de la suprématie blanche, des rapports de force, du port d’armes et de la torture ;
– le racisme, en particulier contre les immigrés, affirmant une supériorité de la race dominante, le lien entre race et territoire (nativisme) et le rejet de tout multiculturalisme. Pour eux la pluralité des identités et le métissage sont des hérésies. Ils considèrent, que, loin de promouvoir la diversité, cela entraîne sa perte, en mélangeant les cultures ;
– un nationalisme exacerbé et le rejet de tout pouvoir supranational. Ce qui fait qu’ils sont hostiles à la Commission Européenne, qu’ils accusent d’éroder la souveraineté des Etat-nations… Il importe ici de souligner la nécessité de cesser de confondre nationalisme et patriotisme… Initialement, le nationalisme est le courant de pensée, du peuple d’un pays qui prend conscience de former une communauté, en raison des liens (langue…) qui l’unit… et qui aspire à l’indépendance et souhaite se doter d’un État souverain. Toutefois, se référant étymologiquement à la naissance et à l’appartenance à une communauté d’origine, le nationalisme exalte des caractères considérés comme supérieurs aux autres. Il devient synonyme de chauvinisme… Ce qu’il entraîne un risque de guerre… Le patriotisme, lui, vient du latin pater, père. Il est le sentiment partagé d’appartenance à un même pays, un amour de celui-ci et un dévouement, fondé sur le désir de préserver l’intégrité de la collectivité à laquelle on appartient, face aux attaques. Il renforce ainsi l’unité autour de ce que l’on a en commun. Il ne s’agit pas de… favoriser ses propres entreprises, produits ou services, au détriment des étrangers, afin de rendre son propre groupe plus riche et plus grand, ni, a fortiori, de rejeter les autres. Au contraire, ce qu’enseigne en France l’exemple de la Résistance, c’est que des membres de minorités aristocratiques, communistes, juives, musulmanes, bretonnes, ou autres… se sont mobilisés pour défendre l’autonomie de leur patrie, au risque de leur vie, sans renier les particularités de leur identité spécifique. Cessons d’opposer acceptation des cultures internationales et attachement aux siens. On peut à la fois être patriote et ouvert aux autres. »
Alors, en définitive, que faire ? Il importe d’abord de consolider tout ce qui peut créer du lien et inciter au partage… et de préserver la liberté d’expression et toutes les occasions de dialogue. Il est, par ailleurs, crucial de faire que les défis qualitatifs à long terme, pour la collectivité (écologie…) soient valorisés. Ce qui suppose que les institutions protectrices (Etat, O.N.G., …) soient soutenues. Il faut, aussi, veiller à l’équilibre entre les forces sociales, notamment l’Economie Sociale et Solidaire, dont les activités sont fondées sur la valorisation de l’utilité.
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