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Compréhension interculturelle

Vers la reconnaissance des valeurs de la culture commune aux Européens

Dans sa réflexion sur l’Europe, Jean Monnet disait : « A refaire, je commencerais par la culture ».  En effet, l’action de l’Europe se heurte au fait qu’en sus des divergences entre les intérêts des différents pays, les Européens ne ressentent pas avoir une identité culturelle homogène. Actuellement, la citoyenneté européenne n’existe pas réellement dans les esprits. Or, un projet européen fédérateur ne peut aboutir que s’il est soutenu par un sentiment populaire d’appartenir à une même communauté de destin. C’est possible, à condition d’aller au-delà du préambule du traité constitutionnel actuel qui évoque pourtant déjà « les héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ». Il reste à développer et préciser ce qui unit les Européens.

 

Aujourd’hui, l’Europe est un rassemblement politique bâti, après 1950, sur une complémentarité économique autour des marchés, dans le but de pérenniser la paix entre les nations européennes. L’U.E. a bien progressé depuis, sur la coopération entre Allemands et Français, avec la suppression des frontières intérieures en Europe, puis l’adoption, en 1998, d’une monnaie commune. Mais il reste beaucoup à faire pour une harmonisation économique, salariale, sociale et fiscale et surtout pour l’affirmation d’une union indépendante, capable de défendre ses positions, face à des Etats tels que les U.S.A., la Chine ou la Russie, ou même face aux puissances financières mondiales. Il faut, pour cela, que l’U.E. clarifie ses intérêts et valeurs communs et désigne un homme (ou une femme) fort(e), responsables des Affaires Etrangères, qui soit capable d’affirmer de façon crédible, les choix de sa politique internationale, ce qui suppose que soient définies, en amont, des orientations partagées.

 

Mais l’Union entre les Etats européens se heurte au fait que l’Europe est traversée de différences culturelles, divergences et même divisions entre les nations, qui mettent souvent en avant le respect de leurs propres intérêts et traditions.

Parmi les multiples facteurs de division, on peut ainsi relever :

– la difficile conciliation entre la cohésion nécessaire des grands ensembles et le besoin de petites collectivités d’affirmer leurs identités spécifiques, avec le souci exacerbé qu’ont parfois les peuples de « disposer d’eux-mêmes » (cf. éclatements de la Tchécoslovaquie et de la fédération yougoslave entre Croatie et Slovénie, à majorité catholiques, Macédoine, Serbie et Monténégro, à majorités orthodoxes et Bosnie, Kosovo et Albanie, à majorité musulmane) ;

– le poids d’aspects religieux, qui vont de l’opposition ancienne entre catholiques et protestants (qui a été en France jusqu’à la Saint Barthélemy, en 1572) et de la résurgence de manifestations d’antisémitisme, jusqu’à la prise en compte de demandes de pays d’Europe de l’Est reliés aux Balkans, à majorité chrétienne orthodoxe (Roumanie, Bulgarie et Grèce), ou de la pression de catholiques d’Europe de l’est, pour le soutien du clergé traditionaliste et sa morale restrictive. Ils opposent ainsi le « droit naturel » de l’homme, qui « est religieux par nature », aux « droits de l’homme » et refusent le relativisme moral des libéraux, qu’ils accusent de « détruire la famille et la religion » ;

– parfois le souvenir d’antagonismes profonds et conflits passés entre les autocrates qui dirigeaient alors les pays européens (cf. guerre de 100 ans, de 1337 à 1453). Cela peut susciter des craintes d’une reviviscence d’un impérialisme hérité du Saint empire (en 800) et de Charles Quint (en 1519), jusqu’à une reprise d’un pangermanisme, suite à une réunification de l’Allemagne, qui entraîne sa domination du commerce intra-européen ;

– des visions de la nation qui vont de l’autoritarisme latin, à la décentralisation et recherche du consensus… et de la décentralisation allemande, au centralisme, parfois perçu comme pouvant provoquer le retour d’un nationalisme virulent ;

– des perceptions différentes d’aspects culturels et sociaux, par exemple concernant les rôles respectifs des hommes et des femmes ;

– des restes de convictions politiques antagonistes, entre d’une part des critiques révolutionnaires et, à l’opposé, des royalistes conservateurs, tous les peuples européens étant partagés entre maintien des acquis et stabilité… et volontés d’évolution. De telles tensions sont de nature à entraîner des oppositions, certains allant jusqu’à considérer que les Lumières et la Révolution française peuvent être à la source des régimes totalitaires ;

– des désaccords sur des aspects économiques, par exemple sur le poids accordé au matérialisme capitaliste, ou sur la maîtrise des dépenses et le niveau de déficit public acceptable, pour des pays tels que l’Allemagne, encore traumatisée par sa faillite, après la crise de 1929 ;

– l’articulation complexe entre des identités régionales hétérogènes, de plus en plus affirmées (Catalogne, Flamands, Wallons, pays basque, Lombards, etc.).

 

Pourtant, sans qu’ils en soient toujours conscients, les Européens ont une civilisation commune, des compétences et des pratiques similaires dans bien des domaines et, dans une large mesure, les mêmes conceptions de la société.

 

La préservation d’une solidarité européenne et la défense d’une politique commune répondant aux intérêts communs et dépassant les conflits d’intérêts entre Etats est donc primordiale. Elle suppose la formation d’une conscience nationale et le renforcement d’un patriotisme continental européen, pour lesquels une communion de pensée est nécessaire. Une communauté politique soudée suppose un imaginaire en commun, ce qui passe par la formalisation d’une légende partagée. « Pour que les Européens arrivent à souhaiter coopérer et se mobiliser pour l’Europe, il faut qu’ils puissent se référer à un récit national qui les relie. Les Européens peuvent tabler, pour cela, sur des convergences fortes entre leurs convictions et valeurs fondamentales. Après tout, l’Europe est l’origine de la culture occidentale, un modèle à la fois libéral et social. N’est-elle pas le berceau de l’humanisme, de la démocratie, des droits de l’homme, de la liberté politique et d’expression, de l’égalité des droits, de l’indépendance de la justice, de la tolérance et du droit d’asile, ce qui a inspiré tant de sociétés ?

 

L’union entre les Européens part ainsi des racines de leur Histoire largement commune (poids du passé partagé). On peut distinguer ainsi 9 grandes étapes :

 

  1. Le sentiment européen a été influencé par l’Empire Romain antique (4 premiers siècles de notre ère), centralisé, qui fait des « citoyens » des hommes libres, qui ont hérité de la pensée latine, porteuse des lois du droit écrit, fondement de la sécurité et de l’ordre public.

 

  1. Mais l’Europe est aussi le fruit des siècles « cap à l’ouest » des populations humaines, longtemps arrêtées par l’océan. Elle a été, ainsi, imprégnée par un vaste mouvement migratoire, qui s’est étalé de la préhistoire au début du Moyen Age, période des invasions de barbares: depuis les goths, qui franchirent le Danube en 376, avant que les frontières du Rhin ne cèdent à partir de 406, ouvrant la voie à plusieurs vagues successives. Ils apportèrent une culture orale de mobilité, de fragmentation des groupes et structures sociales différenciées verticalement, de valorisation de la force et promotion du courage, de flexibilité et capacité d’adaptation.

 

  1. Puis les Européens s’imprégnèrent de la mentalité chrétienne néoplatonicienne de Saint Augustin (Augustin d’Hippone), philosophe et théologien chrétien romain d’Algérie (354-430), qui articulait l’étude de la Bible et la foi, avec la raison, ouvrant la voie à la domination de l’Église catholique, institution supranationale non territoriale, gardienne de normes et d’obligations morales communes.

 

  1. Toutefois, entre le 8ième et le 12ième siècles, la culture européenne fut aussi, imperceptiblement, influencée par la culture arabo-musulmane

– des califes de l’empire abbasside de Bagdad, dont les commerçants ont transmis en Europe les connaissances des Chinois et des Indiens (papier, poudre à canon, boussole, chiffres « arabes » …) et apporté des savoirs approfondis notamment en astronomie et médecine ;

– y compris l’algèbre d’Al-Khwârizmi, ouzbek né vers 780 ;

–      puis par les connaissances transmises par Avicenne et Averroes qui, entre 980 et 1200, ont diffusé la pensée des philosophes grecs de l’antiquité tels qu’Aristote (500 ans avant J.-C.).

 

  1. A partir du douzième et du treizième siècle, le Moyen Age provoqua l’émergence, en Europe, de sentiments de communauté de destin et d’un appétit de savoir et de l’élaboration d’œuvres communes, dont témoignent les œuvres aux architectures magnifiques que sont les cathédrales gothiques, les grandes abbayes et les universités anciennes… et bien des traces des oeuvres humaines, par exemple au niveau de l’agronomie, ou du thermalisme…

 

  1. Par la suite, la « Renaissance » marqua le seizième siècle, avec la prise de distance par rapport à la religion catholique (apparition du protestantisme…) et la valorisation des choses de l’esprit (le rationalisme et l’humanisme), le début de l’ère des grandes découvertes (imprimerie…), le développement des banques et des outils commerciaux et les grandes transformations scientifiques, littéraires et artistiques (les Italiens inspirant les Français et le théâtre de Shakespeare), en même temps que l’exaltation de l’individu, avec un fort désir d’intériorité (l’homme se découvre comme étant une personne digne d’intérêt).

 

  1. Au 18ième siècle l’Europe est imprégnée par l’approche rationnelle des « Lumières », qui combine la valorisation de la liberté de pensée critique et le souci de comprendre le monde, fondé sur l’intelligence et l’expérience (cf. Francis Bacon, père de la méthode expérimentale).

 

  1. Parallèlement, les Européens développent une volonté de domination impérialiste de la nature et du monde, avec l’instauration du commerce triangulaire d’esclaves noirs achetés en Afrique et revendus dans les colonies américaines… et l’amorce de la colonisation…

 

  1. Cette tendance est, en même temps, contrebalancée par le souci de liberté personnelle et le dynamisme qu’inspire, notamment, la révolution française de la fin du dix-neuvième siècle.

 

Toute cette Histoire a fait adopter aux Européens des usages et des valeurs qui ont forgé une mentalité largement commune :

 

1- Une tradition d’ouverture, d’hospitalité, d’accueil, de générosité, de tolérance et d’acceptation de la diversité. Déjà les clercs du Moyen-Age circulaient librement de Montpellier à Paris, Salamanque, Heidelberg et Padoue. Cela conduisit, depuis 1950, toute l’Europe à accepter l’installation et l’intégration de millions d’immigrés, même si les rapports avec des gens venant de l’étranger n’étaient pas toujours faciles.

 

2- Une passion pour la beauté, fondement d’une société cultivée. Ainsi, les habitants de toute l’Europe (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suède…) ont des racines de poètes et vénèrent de grands créateurs de la peinture (tels que Sandro Boticelli (1445-1510), Léonard de Vinci (1452-1519), Michel-Ange (1475-1564), Le Caravage (1571-1610), Rembrandt (1606-1669), Johannes Vermeer (1632-1675), Eugène Delacroix (1798-1863), Paul Cézanne (1839-1906) et Vincent van Gogh (1853-1890)), de la musique (tels que Antonio Vivaldi (1678-1741), Jean-Sebastien Bach (1685-1750), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Franz Liszt (1811-1886), Giuseppe Verdi (1813-1901), Franz Schubert (1797-1828), Frédéric Chopin (1810(-1849), Richard Wagner (1813-1883) et Claude Debussy (1862-1918))… et de la littérature (tels qu’Homère (VIIIᵉ siècle av. J.-C.), Dante Alighieri (1265-1321), Miguel de Cervantès (1547-1616), William Shakespeare (1564-1616), Molière (1622-1673), Goethe (1749-1832), Victor Hugo (1802-1885), August Strindberg (1849-1912) et Franz Kafka (18831924 )).

 

3- Un humanisme qui prône la liberté des individus souverains d’agir comme bon leur semble si ça ne nuit pas aux intérêts fondamentaux des autres et, en même temps, la limitation des règles communes au strict nécessaire pour préserver les intérêts de chacun.

Cela explique le respect de la dignité des personnes, l’acceptation de la liberté d’expression et circulation, l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme, la conformité à l’éthique, la place relativement importante faite aux femmes, par rapport à d’autres cultures, l’assez grande libéralité sexuelle (autorisation de la contraception, licéité de l’homosexualité et l’avortement…) et l’abolition générale de la peine de mort.

Cela va jusqu’à la subsidiarité, qui est à la fois l’autonomie de décision maximale, localement, ou au niveau des régions, ou des groupes sociaux, par rapport aux règles communes, afin de donner aux minorités les moyens de vivre librement selon leurs choix.

 

4- La valorisation de l’échange, qui fait passer la parole avant les actes… et à une forme de pensée caractérisée par le doute (scepticisme et incrédulité), la recherche d’explications, la démonstration, l’esprit critique et la raison, sans doute sous l’influence des œuvres de philosophes tels qu’Erasme (1466-1536), humaniste cosmopolite et pacifiste, Montaigne (1533-1592), humaniste et polyglotte, voyageur et diplomate, Spinoza (1632-1677), René Descartes (1641), Isaac Newton (1642-1727), Voltaire (1694-1778) et les auteurs du courant des Lumières, ou Kant (1724-1804). Ce qui explique une formidable propension au foisonnement des recherches et découvertes scientifiques, techniques et sanitaires dans le passé de toute l’Europe (cf. Archimède (troisième siècle avant J.-C.), Johannes Gutenberg (1400-1468), Copernic (1473-1543), Galilée (1564-1642), Johannes Kepler (1571-1630), Charles Darwin (1809-1882), Louis Pasteur (1822-1895), Marie Curie (1867-1934), Albert Einstein (1879-1955), Niels Bohr (1885-1962) et Heisenberg (1901-1976)).

 

5- Un culte du progrès, qui a fait des Européens des explorateurs de l’inconnu, navigateurs, géographes et cartographes comme Christophe Colomb (14511506) et James Cook (1728-1779), Henry Morton Stanley (1841-1904) ou Pierre Savorgnan de Brazza (1852-1905), mais a conduit aussi à l’affirmation d’inégalités qui débouchait naturellement sur l’esclavage et la colonisation, puisqu’elle reconnaissait qu’il y a des populations supérieures et d’autres, dépendantes. Les Européens sont, aujourd’hui, en train de revoir cette considération des autres qui crée des distorsions relationnelles, ce qui entraîne d’ailleurs des clivages entre eux.

 

6- La préférence pour un régime politique démocratique, selon un modèle inspiré de la Grèce antique, avec la construction d’un Etat qui garantit la liberté, la sécurité, les droits et la justice, qui est repris dans l’Etat-nation instauré à la suite du Traité de Westphalie signé entre l’Allemagne, la France, l’Espagne et la Suède en 1648, à la fin de la guerre de 30 ans. On aboutit à des démocraties qui intègrent la séparation entre l’exécutif, du législatif et du judiciaire préconisée par Montesquieu (1689-1755) et sont particulièrement soucieuses des aspects sociaux (protection des personnes défavorisées, éducation…), tout en entérinant un libéralisme économique total, tout en prenant en considération le souci écologique de la préservation de la nature.

Compréhension interculturelle

Quelles violences à venir entre les hommes ?

L’Histoire a été marquée par une succession de brutalités.

Doit-on en conclure que l’agressivité est dans la nature des hommes ? Si c’est le cas, quel avenir espérer, maintenant que de plus en plus de pays sont capables de détruire toute vie sur terre ?

Nous sommes le dos au mur. Il faudra bien que nous apprenions à juguler nos réactions irascibles et pratiquer la fraternité. C’est difficile, mais c’est indispensable… et possible !

 

Depuis toujours, il y a eu d’effroyables conflits entre les peuples. Ce qui conduit certains à penser que la guerre a toujours été le moteur de l’Histoire. Cela fit ainsi écrire à Hegel que c’est « la violence qui crée l’Histoire ». Est-ce à dire que la politique ne soit rien d’autre que l’art de la conflictualité, « la continuation de la guerre, par d’autres moyens » ?

 

Au départ, il y eut, sans doute la lutte pour l’existence (« struggle for life ») décrite par Darwin. Lors des affrontements compétitifs, les individus devaient éliminer les autres pour survivre.

 

Les hostilités s’étendent ensuite avec les persécutions et exterminations provoquées par des exaltations d’oppositions ethniques, religieuses, militaristes, ou idéologiques. Pensons aux conquêtes et invasions de peuples venus d’ailleurs, à la christianisation forcée des Indiens d’Amérique, en 1550 (cf. controverse de Valladolid), ou aux guerres de religion en Europe, de la répression de l’« hérésie » cathare entre les Xe et XIIe siècle, à la saint Barthélemy en 1572.

 

Au vingtième siècle, la première guerre mondiale commence, en 1914, avec l’assassinat de Jaurès. La majorité des Français et Allemands sont fiers de partir tuer des ennemis et se réjouissent à l’idée du carnage, dans la négation de toute fraternité. On oubliait les discours de Romain Rolland, prix Nobel de 1915, qui mettaient l’accent sur ce que la France et l’Allemagne avaient à s’apporter (cf. « Jean-Christophe » « Au-dessus de la mêlée »), sur la valorisation de l’humanité de Romain Rolland, élève de Renan et ami de Jaurès, dont on ne parle plus guère maintenant, ou ceux de Jean Guéhenno (cf. « La mort des autres »).

Puis il y eut les épouvantables horreurs absurdes, dénoncées Henri Barbusse, Roland Dorgelès et Georges Duhamel, qui firent que jusqu’à la moitié des jeunes hommes n’en revinrent pas.

 

Il y eut ensuite, en 1936, les tergiversations des pays Occidentaux, face à la guerre civile d’Espagne, avec l’utilitarisme amoral des Anglais, qui saisirent l’occasion pour ne pas choisir et s’opposèrent à toute aide au gouvernement espagnol, en espérant que les fascistes et nazis et leurs adversaires, communistes pro-bolcheviks ou anarchistes, s’annihileraient mutuellement.

 

La seconde guerre mondiale s’annonçait, que rien n’arrêtait, surtout pas la complaisance molle des accords de Munich qui incarnaient le choix de la vie, si fragile soit-elle, aux dépens des raisons de vivre tranquillement.

En 1940, la majorité des Français abasourdis, ont trahi leur patrie en restant, lâchement, écrasés par la capitulation. Puis l’apologie de l’ordre, la soumission et l’effort, a été assumée par Pétain. Ce n’était là que la récupération des convictions de la culture paysanne majoritaire en France.

A la fin de la guerre, il est apparu que les U.S.A., qui avaient eu relativement peu de tués et de destructions et en avaient profité pour développer leur industrie de l’armement, en sont sortis renforcés, à une place prééminente. Et il a été constitué, à l’O.N.U., un conseil de sécurité avec 5 membres permanents (U.S.A., Royaume-Uni, France, U.R.S.S. et Chine). Ce qui laissait de côté d’autres pays (Allemagne, Italie, Japon), qui avaient été de l’autre côté des belligérants. IL en a résulté, depuis, un système de sécurité international figé, devenu rapidement obsolète.

 

Il y eut ensuite une succession de remises en cause des colonisations et décolonisations. L’asservissement des peuples avait été le produit du délire impérialiste dominateur de la plupart des grandes puissances. Après la guerre mondiale, les colonies profitèrent de l’affaiblissement des colonisateurs pour se libérer de leur tutelle et arracher leur autonomie. Il leur fallait réagir aux humiliations ressenties et se dégager de l’hégémonie des occupants (cf. importance du paraître). Il y eut des efforts d’émancipation, des révoltes, des insurrections et des guerres d’indépendance, souvent illustrées par des mutilations, des viols, des exhortations au meurtre et des assassinats, de part et d’autre, au milieu d’innocents. Il fallait tuer… et même égorger des enfants, ce qui n’avaient aucun sens, s’il n’avait pas eu d’espérance collective. Mais se délivre-t-on en massacrant ? Cela engendrait une répression cruelle et sanglante (torture pour obtenir des aveux ou des renseignements…), qui était sans issue, la violence engendrant la volonté de revanche… Tout cela déboucha, souvent, sur l’accès des militaires au pouvoir.

 

En Europe une union s’élabora progressivement, qui permit la perpétuation de la paix durant une période d’une durée jamais connue auparavant. On n’abolit pas les frontières, mais instaura une pénétrabilité entre des pays, qui n’arrivèrent guère à dégager une volonté commune.

Tandis que le monde édifiait des zones d’échanges commerciaux sous l’égide de l’O.M.C..

 

Puis la seconde partie du vingtième siècle fut caractérisée par l’essor de la consommation, avec une aspiration générale à accumuler le maximum, à agresser les autres pour avoir tout, tout de suite… Ce qui déboucha sur une dénonciation de la propriété… et de la pression symbolique et des répressions du pouvoir, perçu comme exerçant une violence, par ses lois…

Avant que des jeunes révoltés se laissent aller à des manifestations de colère, antipathie, ressentiment, vindicte, agressions verbales et physiques, depuis les automobiles incendiées pour s’affirmer et faire parler de soi, jusqu’aux détestations, insultes, injures, déprédations des locaux, hargnes, coups et blessures et menaces de mort à l’encontre d’élus, allant jusqu’à des lynchages, souvent au nom de minorités religieuses, ethniques, sociales ou sexuelles.

Mais comment considérer ainsi que détruire, soit construire ?

 

Parallèlement, il y eut la signature, en 1968, d’un traité de non-prolifération des armements nucléaires (TNP), qui ne considérait comme « puissance nucléaire » que les Etats ayant procédé à des essais avant 1967.

 

Cela n’empêcha pas, durant les années 1990, une multiplication des conflits, souvent fondés sur des rivalités ethniques ou religieuses : Balkans (Bosnie, massacres de Srebrenica en 1995…), Proche-Orient (Israël, Iran, Irak…), Caucase, Cachemire, Afrique (Nigéria, R.D.C.) … Il y eut aussi, à la même époque, bien des guerres civiles en Irlande, Algérie, génocide au Rwanda en 1994, Soudan, Syrie, Yémen, Ethiopie…

 

On assista aussi à une montée des férocités abominables de groupes extrémistes (horreurs de lapidations, mutilations, égorgements, exécutions sommaires, décapitations, massacres…) et à une multiplication des attentats d’un terrorisme aveugle et suicides de supposés « martyrs ».

 

Les causes de toutes ces violences sont diverses et évidentes : la détresse de ceux qui sont dans le dénuement, sans recours possible, ou bien l’envie et la volonté de conquérir un territoire, dominer les autres et s’affirmer, qui font que « le nationalisme, c’est la guerre » … la propension absurde à se venger, qui provoque la revanche, parfois la peur qui entraîne des agressions « préventives », qui s’enchaînent sur une exaspération des passions tristes (cf. Spinoza), etc.

 

Les hostilités sont alors facilitées par les ventes d’armes aux agitateurs et leur soutien par des marchands qui ne se soucient que de défendre leurs propres intérêts. On notera ainsi qu’en 2016, le premier exportateur d’armes est les Etats-Unis (30 à 54 %), avant la Russie (27 à 31 %), la Chine (6 à 13 %), l’Allemagne (6 %), la France (5 %) et le Royaume-Uni (4 %), suivis par l’Espagne, l’Ukraine, l’Italie et Israël (3 % chacun). Ce gigantesque prélèvement militaire sur l’économie s’avère pourtant stérile, car ne débouchant pas sur la moindre construction utile.

 

En conclusion, il nous faut bien admettre qu’il y aura toujours des oppositions d’opinions, des intérêts antagonistes et des égoïstes tentant de s’approprier les biens d’autrui, des mégalomaniaques qui visent à exercer une domination hégémonique et s’assujettir les autres… et des « salauds », criminels, fous meurtriers et sadiques, tirant leur plaisir du mal qu’ils infligent aux autres. Il y aura donc sans doute toujours des adversaires contre lesquels il faudra lutter, avec lesquels il y aura des dissentions, qui ne se résoudront que dans des rapports dans lesquels le pouvoir économique ou militaire sera déterminant.

 

Est-ce à dire que les relations d’influence ne peuvent s’exercer que par la force ?

Doit-on en conclure que les hommes auraient inexorablement une hostilité aux autres, seraient naturellement violents. Déjà dans la culture judéo-chrétienne, avec l’idée de « péché originel », la propension au mal préexiste au bien, comme le soulignaient Saint Augustin et Luther. De nombreux autres auteurs, tels que Machiavel, Hobbes, Adam Smith et Hannah Arendt affirment que les hommes sont spontanément égocentriques, cupides, vénaux, méfiants, malveillants, racistes, injustes et/ou cruels. Cette conception Freud la reprend lorsqu’il dit, dans Malaise dans la civilisation », que l’homme a un « besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, lui infliger des souffrances, le martyriser et le tuer ».

 

Or, aujourd’hui, au moins trois évolutions montrent qu’on ne peut plus dominer les autres par la guerre :

 

– « Les résultats des conflits des cinquante dernières années (Algérie, Palestine, Afghanistan, Irak, Syrie, etc.) font douter que la soumission à la victoire fonctionne encore… Nous y constatons que les plus forts ont été impuissants à surmonter leurs adversaires avec les moyens militaires classiques. Nous avons pris conscience qu’« on ne peut jamais détruire tous ses ennemis », comme le disait Bill Clinton, à propos des contentieux entre Israël et les Palestiniens. Ceux qui survivent en sont renforcés dans leur incitation à l’antagonisme. Ce qui débouche nécessairement sur des confrontations armées interminables.

Même en interne, en démocratie, le recours à la violence des manifestations sociales pour faire pression sur l’Etat n’a guère de sens, car il n’aboutit qu’à réorienter les flux monétaires entre les groupes sociaux, à augmenter la pression fiscale, à la charge de tous, et à accentuer le déficit de la nation. Avec la haine, nous courons juste le risque de l’éclatement de la société.

 

– Nous sommes dans un monde où les armements nucléaires qui permettent des « destructions massives » sont accessibles à bien des pays. Bien des pays (Inde, Pakistan, Israël, Corée du nord…) possèdent la bombe atomique et de nouvelles puissances ont émergé (Corée du Sud, Turquie, Mexique, Brésil, Argentine, Egypte, Nigéria, Afrique du Sud…) possèdent le nucléaire civil, ou aspirent à l’avoir (Iran…). Ces armements sont suffisamment puissants pour tout détruire. Ce qui serait inévitablement réciproque. Ce qui conduirait à une annihilation. La violence pourrait ainsi nous entraîner à la destruction mutuelle totale. Quel avenir espérer, maintenant que les hommes sont capables d’éliminer toute vie sur terre ?

 

Nous sommes le dos au mur. Il faudra bien que nous apprenions à juguler nos réactions irascibles et pratiquer la fraternité. C’est difficile, mais c’est indispensable. Est-ce possible ? Quatre choses incitent à l’espérer.

 

Depuis que les premiers hommes sont apparus sur terre, il y a 2,5 millions d’années, il n’y a pas eu que de la violence, puisque 75 000 générations de femmes ont pris soin de leurs bébés immatures, à la naissance. Et 75 000 générations d’hommes ont nourri et protégé leurs progénitures, leurs familles, leurs villages, ou leurs nations. Les entraides, y compris entre espèces, ont été déterminants dans la survie des humains, qui ont dû pouvoir s’appuyer sur d’autres. Sinon nous ne serions plus là.

 

Nous avons su, avec la dissuasion, éviter de nous détruire avec l’arme nucléaire… et la paix en Europe dure depuis 75 ans. Cela n’avait jamais été le cas depuis les débuts de l’Histoire.

 

De plus, on peut actuellement constater d’indéniables progrès. Le monde se porte mieux que dans les années 1930 et même 1960 : il n’y a pratiquement plus de famines, l’espérance de vie des humains est passée de 45 ans en 1900 à 70 ans (82 ans en France), les conditions de vie de la plupart des gens ont nettement progressé, les droits des femmes sont mieux respectés, etc.

 

Enfin, à l’époque actuelle, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la coopération apporte plus que l’antagonisme. Les échanges scientifiques planétaires et les transactions internationales sont plus fructueux que les affrontements. La guerre rapporte moins que le commerce. Le développement de la Chine depuis l’an 2000 le démontre.

 

Nous prenons conscience qu’au fond, tous les hommes sont les mêmes, au-delà de leurs particularités culturelles. La conclusion qui s’impose c’est la nécessité de la paix universelle, chère à Emmanuel Kant et du pacifisme cher à Victor Margueritte et Aristide Briand, il y a 100 ans. Que ce soit une utopie, ne signifie pas que ce soit une illusion… Pour ma part, j’ai une horreur de la violence, que Montaigne partageait avec Voltaire. L’apologie de la haine est ma limite. La colère ne justifie pas tout. D’ailleurs aucune fin ne légitime d’employer TOUS les moyens… Ceci étant, toute bataille n’est pas mauvaise. J’admets volontiers la concurrence, la compétition et la lutte pour ses idées… L’entente est difficile, mais possible. Elle suppose toutefois de réunir plusieurs conditions.

 

Pour que les gens s’entendent, il importe d’abord qu’ils se connaissent, qu’ils soient éduqués et se sentent protégés. Mieux se comprendre permet de prévenir bien des conflits et résorbe les agressions… Mais tout n’est pas culturel. Si la compréhension entre les peuples est nécessaire, elle ne sera pas suffisante pour empêcher les hostilités.

Ne nous faisons pas d’illusion. Il serait naïf de croire que la raison l’emporte sur la brutalité. Nous avons donc besoin de la force. Ce qui ne signifie pas qu’il faille la mettre en œuvre.

De plus, personne ne peut se passer d’alliés, pour se défendre. Il importe à la fois d’être en mesure d’affirmer sa force… et de tout faire pour développer les coopérations avec les autres. Ce n’est pas incompatible, au contraire, nul n’ayant envie de n’être ami qu’avec des faibles.

 

Des exemples tels que ceux de Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela ont montré que l’on peut imposer des changements, sans violence, au risque de sa vie. Comme le dit Frédéric Gros, dans « Désobéir », « la racine de la non-violence ne peut être que dans le courage ». Giono écrivait que « quand on n’a pas assez de courage pour être pacifiste, on est guerrier ». Et Jean Daniel concluait : « Au nom du pacifisme, on peut refuser de tuer. Mais si on n’est pas prêt à mourir pour ce refus, on devient un esclave » (« Réconcilier la France », p. 23).

Compréhension interculturelle

Mieux nous entendre pour surmonter ce qui nous menace tous

Les différents peuples de la terre ont des croyances et des usages hétérogènes.

Ces convictions, enracinées dans leur tradition, sont héritées de leur passé, via les anciens, aux expériences desquels cela répondait.

 

Or nous sommes tous convaincus d’avoir raison, contre tous les autres.

On aboutit à des « systèmes » antagonistes. Les oppositions de convictions entraînent alors des intolérances et des affrontements.

Surtout lorsque nos croyances sont cristallisées dans des principes religieux… et que les religions, qui sont en quête d’universel, considèrent que leurs propres valeurs sont absolues et éternelles et sont tentées d’imposer leurs certitudes dogmatiques aux autres. Ce qui arrive actuellement avec une indéniable demande de spiritualité et le regain du mysticisme.

 

Cela explique les antagonismes entre les communautés nationales, ethniques, sociales, religieuses et sexuelles qu’on constate de plus en plus souvent.

 

En même temps, nos cultures sont le reflet de l’adaptation à des conditions de vie, qui sont évolutives. Ainsi, les cultures dépendent du contexte géographique et historique et varient selon les situations, les lieux et les époques, lorsque l’environnement change, suite à des innovations techniques ou des bouleversements sociaux.

Nous sommes ainsi passés, en un siècle, d’une culture agronome et rurale, à une culture industrielle de production, puis à une culture libertaire, dans les années 1960 et, aujourd’hui, à une culture geek d’interactions, évolutions rapides incessantes et généralisation de l’économie libérale, d’exigence de droits individuels et aspirations matérielles exacerbées.

 

Il en résulte des concurrences, compétitions, inégalités et instabilités qui divisent encore plus les sociétés.

 

Cependant, tous les pays font simultanément face à des bouleversements de leurs existences de quatre ordres, qui pourraient leur être fatals :

– croissance de la population et globalisation des échanges économiques internationaux qui entraînent inexorablement, sur une terre de dimension limitée, la raréfaction ou l’épuisement des ressources naturelles ;

– détériorations de la nature, source de vie, provoquées par les développements industriels inconsidérés engagés au cours des dernières décennies ;

– effets négatifs incontrôlés des innovations technologiques séduisantes, qui se multiplient actuellement ;

– développement d’une finance spéculative mondiale, qui détourne l’économie de ses finalités.

Ce sont là des problèmes d’une telle ampleur qu’ils ne peuvent être résolus que si les hommes s’y consacrent ensemble, aucun n’étant plus capable de défendre, seul, ses intérêts. La survie du monde nécessite une coopération renforcée entre les peuples, qui doivent arriver à se comprendre, nonobstant leurs différences culturelles.

 

Dans ce contexte, la plupart des responsables et dirigeants ont pris conscience de trois choses.

Ils savent, tout d’abord, que les escalades de la violence sont sans issue. D’une part, parce qu’ils ont constaté que les guerres sont inefficaces pour résoudre les conflits. D’autre part, parce que les armements qui permettent des « destructions massives » étant accessibles à bien des pays, toute attaque serait inévitablement réciproque… et conduirait à une annihilation mutuelle.

Par ailleurs, ils admettent que si l’entente est difficile, elle est possible. Nous le démontrons depuis 75 ans.

Enfin, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la coopération apporte plus que l’antagonisme, car les échanges scientifiques et les transactions commerciales à l’international sont plus fructueux que la guerre.

 

Nous aboutissons alors à un clivage entre deux forces.

D’un côté, les représentants des minorités (des groupes d’affinités, aux lobbies défendant des intérêts particuliers), se plaignent d’être « discriminés » et revendiquent des droits particuliers.

Ce qui fait que le monde est de plus en plus divisé…

D’autre part, les chefs d’Etats et institutions supranationales savent que le souci des intérêts communs et les coopérations pacifiques sont indispensables.

Ce qui exacerbe souvent, aujourd’hui, les oppositions entre les exigences des peuples et les directives des dirigeants, quels que soient les régimes politiques.

 

Saurons-nous instaurer une compréhension mutuelle qui dépasse nos oppositions culturelles ?

 

Il ne s’agit pas de tout accepter. Renier sa propre culture serait un appauvrissement.

 

Mais on peut adhérer simultanément à plusieurs cultures, même si elles énoncent des préceptes contradictoires, sans trahir celle de ses origines, car l’homme est capable d’appréhender la complexité.

 

Il faut simplement s’efforcer de connaître et prendre en considération les usages, besoins et souhaits des autres… et accepter de réexaminer ses propres croyances et certitudes préconçues, qui font interpréter et juger à tort ce que font et disent les autres.

Roches en travers du chemin
Compréhension interculturelle

Les civilisations de notre temps sont en péril. Que faire ?

Réveillons-nous ! Les civilisations modernes sont en dérive. Leur crise est flagrante quand on examine leurs tendances dans au moins sept domaines : vitesse, consommation, virtuel, individualisme, insécurité, droit et vérité. Pourquoi est-ce si important ?

En simplifiant, on peut relever que…

1- Tout d’abord, tout change constamment et cela s’accélère. Nous vivons dans l’instantané, l’immédiat (cf. accès aux nouvelles en continu) et sommes stimulés en permanence par des messages souvent à la fois urgents et vides (en particulier des appels et S.M.S. téléphoniques et sur les réseaux sociaux…). Il en résulte que nous sommes fascinés par la vitesse et entraînés par l’accélération et l’instabilité du monde. Nous avons alors le sentiment que l’avenir nous échappe, cessons de croire au progrès et finissons par ne plus rechercher, en contrepartie, que des jouissances immédiates… et avons un désir exacerbé de « profiter » de tout ce qui passe…

2- Nous développons alors le désir obsédant de gagner du temps, que tout soit facile… et de pouvoir, notamment, échapper au travail. Nous avons une envie constante de loisirs. Cela finit par une recherche obsessionnelle de « se faire plaisir », de jouer et d’autres préoccupations futiles… Cela débouche sur une focalisation sur le matériel, le confort, le bien-être, l’utilitarisme… et le besoin un adolescent d’avoir « tout, tout de suite ». D’où émergent des envies insatiables, une consommation avide et sans limite, y compris du superflu, stimulée par la publicité. Jusqu’à la recherche continuelle de possession : avoir toujours plus.

3- La technologie nous entraîne à une immersion dans les échanges d’images et le virtuel (cf. livres audio, casques de réalité virtuelle, hologrammes impressionnants, etc.), au risque qu nous confondions le fictif et la réalité. Nous finissons par être constamment obsédés par l’apparence, incités à échapper au réel et confrontés à la violence gratuite et sans limite des passages en force que véhiculent des vidéos qui suscitent des émotions exacerbées. Jusqu’à ce que de plus en plus d’entre nous soient tentés par toutes sortes de drogues.

4- C’est alors l’individu qui prévaut, avec la recherche permanente de chacun d’affirmer son existence personnelle et son indépendance… et la mise en avant de ses propres intérêts, indifférente aux autres. Nous sommes obsédés par nous-mêmes, « moi d’abord » et « chacun pour soi », ce qui exacerbe les jalousies interpersonnelles. Nous avons un souci narcissique permanent de notre propre image et de la façon dont nous sommes perçus et sommes constamment désireux d’être reconnus par les autres. Ce qui entraîne paradoxalement, dans un monde où les communications se multiplient, une augmentation de la solitude de chacun.

Le « moi, je » aboutit à la fluctuation des engagements, jusqu’à la déstructuration des familles, dont témoignent la fréquence des séparations et divorces.

Cela débouche aussi sur l’exacerbation des revendications et exigences catégorielles, chaque groupe se disant constamment victime de discriminations. Il en résulte, de plus en plus souvent, des affrontements entre minorités et des divisions sociales accrues.

5- Parallèlement, nous développons, inconsciemment, un souci obsédant de sécurité. Nous perdons confiance en qui ou quoi que ce soit, en arrivons à aspirer à toutes sortes de surprotection, faisons appel au principe de précaution, même dans des situations sans risque catastrophique… et considérons que la protection de la vie passe avant tout. Il n’y a plus de héros… et plus guère de valorisation du courage.

6- Chacun n’est plus préoccupé que par ses droits et exige la satisfaction de ses aspirations particulières. On oublie ses devoirs vis à vis d’autrui et on agit sans règles, sans interdits.

D’où une véritable « crise de l’éthique », dans laquelle on n’arrive plus à convenir de ce qui est « bien » et de ce qui est « mal ». Notamment, les idéaux humanistes d’égalité, de solidarité, de justice sociale sont perçus comme naïfs et obsolètes.

Cela fait que notre société est clivée entre ceux qui ne croient plus en Dieu… et ont trop souvent tendance à ne rien respecter et ceux qui ont des croyances ethnico-religieuses fanatiques, manichéistes et dogmatiques, qu’ils tentent de répandre en s’appuyant sur une carence éducative des masses de jeunes, qui facilite la transmission de certitudes erronées et illusoires.

Avec le mouvement de pensée qui, surtout depuis 1968, met à mal les points de repère des valeurs de référence traditionnelles, on voit s’étendre une aspiration revendicative à une liberté individuelle sans limite, alors que la liberté ne saurait pourtant être sans réserve. Cela ne fait qu’aboutir à une tendance générale à l’irresponsabilité.

7- Tout ceci ne tient que par la multiplication des déformations, dissimulations, dénis, mensonges, tricheries et autres vérités parallèles, fabriquées sur mesure pour conforter des certitudes simplistes. Comme s’il n’y avait plus de réalité sur laquelle compter.

Ne conviendrait-il pas de dénoncer ces dérives ?

L’accélération ne nous empêche pas de rechercher des constantes et préparer l’avenir (1). Il devient vital de ne pas nous laisser entraîner par les apparences (3) et de ne pas nous mentir (7). Notre monde est confronté à des risques démographiques, écologiques, sanitaires et économiques, qui menacent nos vies. Nous ne les surmonterons que si nous arrivons à y œuvrer ensemble (4), à prendre le risque de certains engagement courageux (6) et faisons en sorte de maîtriser nos consommations (2). Cela suppose que nous soyons capables de nous astreindre à poursuivre des objectifs et acceptions de partager les astreintes, les efforts et les gains (5).

Compréhension interculturelle

Peut-on espérer une paix durable entre les hommes ?

Même si la violence n’est pas dans la nature humaine, elle est néanmoins présente chez certains, ce qui provoquera inévitablement des conflits. Cependant, aujourd’hui, comme je le montre dans « Dépasser les antagonismes interculturels Un défi vital pour le monde », les actions de quelques-uns peuvent être fatals à toute la vie sur terre. Il est donc indispensable et possible de limiter les conflits armés. On le peut si l’on est convaincu que c’est nécessaire, en employant une force non violente résolue.

Si l’on pense que la nature humaine a le mal en soi, comme le disaient notamment Saint Augustin, Machiavel, Luther, Hobbes, ou Adam Smith, les hommes auraient inexorablement une hostilité aux autres. IL en résulterait qu’l y aurait toujours des agressions et des guerres.

« Pour justifier ces antagonismes, certains évoquent que l’évolution résulte… de la lutte pour l’existence (« struggle for life ») décrite par ùDarwin : historiquement, la sélection des individus proviendrait d’un affrontement compétitif…, à l’issue duquel ne survivaient que les plus forts et agressifs, éliminant les autres… Pourtant, on sait aujourd’hui que des processus d’entraide, y compris entre espèces, ont été déterminants… Ceux qui ont survécu ont dû s’appuyer sur d’autres et protéger les leurs, au moins leurs progénitures » (page 240).

Pour ma part, je pense que les hommes ne sont naturellement ni bons, ni mauvais. Tout dépend de leur éducation et de leurs expériences.

Ce que j’ai observé, durant toute ma vie professionnelle, c’est que, couramment, entre 10 et 20 % des gens s’efforcent de faire le bien et ont le souci des autres, tandis qu’entre 10 et 20 % des humains ignorent ou transgressent systématiquement leurs obligations sociales et tentent constamment de vivre aux dépens des autres. Il reste entre 60 et 80 % de la population, qui respectent habituellement leurs devoirs, mais profitent aussi des occasions, sans se gêner.

S’il en est bien ainsi, il en résulte trois conséquences :

– On ne peut pas, pour instaurer la paix, compter sur la diffusion d’un discours moral, qui ne convaincrait sans doute qu’une minorité.

– Il importe plutôt de faire en sorte que la majorité perçoive qu’il est dans son intérêt de tenir compte des autres, essayer de comprendre leurs intérêts et coopérer avec eux.

– Il restera toujours une marge de malfaisants, qui chercheront constamment à nuire.

Il y aura donc probablement toujours des antagonismes entre les hommes, à des degrés divers : méfiances interpersonnelles, hostilités et agressions, tentations de certains, surtout les plus puissants, d’user de la force, pour laquelle les possibilités économiques et militaires sont déterminantes, pour faire valoir leurs propres intérêts ou croyances, écraser les oppositions et l’emporter, utilisation de la violence pour faire fléchir ou même détruire ses adversaires, brutalités qui l’emportent sur la raison, meurtres et guerres.

Quelles sont les raisons pour lesquelles se développent ces antagonismes interpersonnels ?

Parfois on observe des réactions hostiles, sous prétexte de se défendre des attaques des autres.

Il arrive aussi que les tensions interpersonnelles résultent simplement de rivalités fraternelles.

Il restera toujours des intérêts antagonistes et des concurrences pour les ressources, le rang, ou le pouvoir. Ce qui peut induire des réactions susceptibles d’entraîner des conséquences néfastes. Il est pourtant de très nombreuses situations dans lesquelles la coopération serait plus fructueuse. J’ai pu le démontrer dans l’expérience « que je cite dans mon ouvrage sur « La décision », pages 147 à 160. Il s’agissait… d’étudier des choix de groupes, dans des situations dans lesquels les résultats qu’ils obtiennent dépendent aussi des décisions de leurs adversaires. Spontanément, la plupart des groupes… « s’enferment dans un comportement suicidaire d’antagonisme à l’égard des autres… Ils ne se posent même pas la question de leurs propres objectifs… et leur analyse des opportunités de la situation est… presque toujours… insuffisamment rigoureuse… Seule une possibilité de négociation entre les groupes permet d’élaborer une stratégie commune… à condition qu’elle ne soit pas d’emblée bafouée par une trahison, qui rend évidemment improbable, pour la suite, la confiance nécessaire » (page 104). Pourtant des désaccords le partage des biens ne débouchent pas nécessairement sur des conflits. On peut décider d’un partage pacifiquement. Mais il y aura toujours des gens pour qui la compétition est confondue avec la recherche de « l’élimination ou, même, de la destruction de ses adversaires… Alors que l’existence d’antagonistes peut être bénéfique pour se renforcer… et peut même être profitable à tous, comme l’ont démontré les succès économiques du libéralisme, notamment pour le développement des pays émergents » (page 104).

Il restera encore éternellement des égoïstes et des cupides, qui ne se soucient que de défendre leurs propres intérêts et exploitent les autres : « Il est normal que chacun s’efforce d’améliorer sa situation… et de conserver ses avantages… On peut comprendre que, face aux difficultés, la tendance spontanée de chacun soit… de chercher à en tirer le meilleur » (page 104). Ce qui peut conduire à tenter de s’approprier les biens d’autrui. Y remédier suppose de « mettre en oeuvre des moyens pour empêcher que certains s’approprient tout… Il est vital que ceux qui possèdent plus, acceptent de partager, au moins une partie de ce qu’ils ont » (page 105).

Au-delà des intérêts antagonistes, il y arrivera aussi toujours, qu’il y ait des divergences d’opinions, de croyances, de convictions, ou des prises de position qui s’opposent. Certains ont ainsi des attitudes racistes, ou peuvent humilier les autres. Pourtant, « les désaccords n’impliquent pas… le dénigrement mutuel systématique, qu’illustrent les positions des politiciens. On peut s’efforcer de comprendre, avant de critiquer. L’argumentation pour défendre ses positions en sera meilleure. Ce n’est pas parce que nos idées s’opposent, que le dialogue… ne peut pas être bénéfique. Au contraire, l’échange n’en sera, généralement, que plus enrichissant » (page 104).

Il y aura également sans doute toujours des mégalomaniaques qui aspirent à dominer et s’assujettir les autres. Ils visent à exercer une volonté hégémonique et, pour triompher, tentent souvent de diviser pour régner.

Enfin, il y aura toujours « des criminels, des fous cruels et des sadiques, tirant leur plaisir du mal qu’ils/elles infligent aux autres… Il faudra toujours lutter contre eux » (page 105).

On ne pourra donc probablement jamais éviter totalement les conflits armés. Pourtant, il ne n’est plus possible de laisser se perpétuer ces antagonismes, pour au moins trois raisons :

– C’est inefficace. « Nous avons pris conscience qu’« on ne peut jamais détruire tous ses ennemis », comme le disait Bill Clinton à propos des contentieux entre Israël et Palestiniens. Ceux qui survivent en sont renforcés dans leur incitation à l’antagonisme. Ce qui débouche nécessairement sur d’incessantes confrontations armées… D’ailleurs, les résultats des conflits des cinquante dernières années au Moyen Orient (Palestine, Afghanistan, Irak, Syrie, etc.) font douter que la victoire des plus forts fonctionne encore » (page 106). La guerre est, en tout cas, bien moins efficace, aujourd’hui, que les échanges commerciaux, pour défendre ses intérêts.

– On ne peut plus laisser faire car, « aujourd’hui, tout affrontement peut être fatal, ne serait-ce que parce que les armements qui permettent des « destructions massives » sont accessibles à bien des pays, qui sont de plus en plus nombreux à posséder les moyens d’éliminer l’humanité entière et même toute vie sur terre… Toute attaque serait inévitablement réciproque… et conduirait à une annihilation mutuelle » (page 106).

– Il est possible d’instaurer des pratiques qui évitent les conflits armés comme nous le démontrons, « depuis 75 ans, en ayant su éviter, avec la dissuasion, de nous détruire avec la bombe atomique » (page 106).

Il est donc primordial de faire le nécessaire pour maîtriser ceux qui sont à l’origine de conflits armés, afin de leur imposer d’agir en faveur de l’intérêt général.

Que faire pour cela ? La première des conditions est de contrôler les ventes d’armements. Mais le plus déterminant est d’exercer une résistance par la force qui convainque ses adversaires d’adopter une attitude constructive, tout en évitant de se trouver engagé dans des rapports de violence réciproque. Les exemples de Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela ont montré que l’on peut imposer des changements, sans violence. Ce qui suppose d’avoir le courage d’être prêt à risquer sa vie. En effet, de l’ordre des deux tiers de ceux qui promeuvent des démarches pacifistes courent le risque de finir par être assassinés, comme l’illustrent les cas de Jean Jaurès, Gandhi, Martin Luther King, Robert Kennedy et Yitzhak Rabin. Mais cela n’a pas empêché le succès de leurs mouvements pour l’indépendance, en Inde, pour les droits civiques, aux Etats-Unis, ou pour la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.

Compréhension interculturelle

Les technologies informatiques rendent-elles idiot ?

Les humains, notamment les enfants, passent plus de 6 heures par jour devant des smartphones, des télévisions, y compris dans leur chambre, des tablettes ou des consoles de jeux. Nous subissons les effets de cette expansion des technologies audiovisuelles de traitement des informations et communications : écrans, Intelligence Artificielle, réseaux sociaux… Cette révolution informatique bouleverse nos existences et nos façons d’agir et même de penser.

Tout d’abord, les écrans nous immergent dans un monde d’images, dans lequel on n’échange guère que des photos et vidéos. Ainsi, des études montrent qu’aujourd’hui, les moins de 35 ans ont plus d’interactions à distance que leurs aînés et se réfèrent, plus qu’eux, au streaming ou aux podcasts. Les sources d’informations qu’ils privilégient sont les vidéos en ligne, ou même les jeux vidéos (!), tandis que les plus de 35 ans se réfèrent encore à la télévision, éventuellement reprise sur internet, à la radio, à la presse, ou aux livres. Il en résulte que…

– nous vivons de plus en plus dans les images et, comme le visuel s’adresse à nos sensibilités, nous sommes submergés par nos émotions et sous l’influence de nos opinions préconçues. Ce qui nous rend plus réactionnels que réfléchis ;

– cela nous recentre sur nous-mêmes. Comme il n’y a pas d’échange, on simplifie tout et on perçoit mal la complexité ;

– nous sommes ainsi souvent dans l’apparence et le superficiel, le paraître et la présentation physique et vestimentaire ;

– la fiction occupe aussi une part importante et croissante dans nos vies. Nous sommes fascinés par le virtuel, vivons dans l’artificiel et nous finissons par croire que tout est possible. Dans ce monde d’illusions, ne ressortent que les chocs, ce qui nous rend dépendants du plus frappant et nous imprègne de violence. Ce qui explique le succès des thrillers, vampires et films d’horreur ;

– certains d’entre nous finissent par être entraînés dans des pratiques d’enfants gâtés, où il n’y a plus de place que pour les jeux vidéo, les oreilles bouchées par les écouteurs, jusqu’au culte de la laideur, encore accru par l’intoxication par les drogues qu’on est encouragé à essayer.

Nous subissons, par ailleurs, constamment des incitations induites par des applications d’« Intelligence Artificielle » (IA), qui réalisent des fonctions effectuées jusques là par des humains, comme reconnaître des éléments sur une image ou répondre à une question. Ainsi, les IA « savent » détecter une source de difficulté, identifier une solution, ou recommander une action. Des IA sont même capables de réaliser, plus vite que les hommes et avec une exactitude supérieure à eux, des tâches complexes, par exemple en jouant aux échecs ou au jeu de go. Est-ce à dire qu’elles sont intelligentes ? Avec le développement du deep learning, on leur « apprend » à prédire ou trancher entre des éventualités, à partir de données, en utilisant une approche statistique. Leur « apprentissage » se fait par renforcement, à partir de milliers d’erreurs. Mais il ne s’agit que d’une imitation des pratiques humaines, simulant une compréhension. Ce sont juste des algorithmes (suites d’instructions ou de calculs), qui permettent à des ordinateurs de s’appuyer sur des masses d’informations accumulées sur un objet précis, pour « apprendre » à fournir rapidement des réponses à des questions très spécialisées. Ce qui permet aux utilisateurs d’interagir avec ces ordinateurs, sur un chatbot (programme informatique conversationnel), en ayant l’illusion de recevoir des avis d’experts compétents. Mais les machines ne sont pas autonomes. Elles se contentent d’appliquer des formules conçues par des hommes, suivant des architectures logiques dessinées par des hommes. Il faut des interventions humaines pour les mettre au point, écrire leur programme d’entrainement et préparer les données qui leur sont nécessaires, pour leur montrer le plus grand nombre de cas auxquels se référer. Cela ne crée pas d’intelligence des choses. La machine ne fait que répéter ce qu’elle a reçu. Ainsi, les systèmes de type GPT-3, sont des réseaux de « neurones » auxquels on enseigne, de manière statistique, à dire le mot suivant à partir d’un début de texte. A la base, ils ont ingurgité tant d’exemples qu’ils « savent » que, dans les dialogues, après « Salut ça… », il y a souvent « va ». Mais ils n’ont aucune « idée » de ce que cela veut dire. C’est juste du remplissage de mots. Les IA ne savent pas faire des liens évidents pour nous et n’ont pas de sens commun. Les machines n’ont pas conscience d’elles-mêmes, ni du monde qui les entoure. Elles ne ressentent aucune émotion et n’ont aucune capacité critique, ni intention, ni créativité. On peut se demander si elles pourront un jour faire des découvertes et/ou s’améliorer elles-mêmes. C’est nous qui, par anthropomorphisme, leur prêtons des capacités qu’elles n’ont pas et donnons du SENS à ce qu’elles produisent. Par exemple, des start-ups utilisent actuellement des deepfake (hyper-truquages) pour procurer l’impression d’une immortalité numérique, en recréant un être humain. Elles entraînent une IA à reproduire les habitudes d’une personne disparue, en s’appuyant sur de nombreux messages et photos échangés avec elle, de son vivant, ce qui permet de créer un simulacre de ses propos, de sa voix, de sa diction, de ses expressions ou même l’apparence des traits et du corps du disparu, donc une illusion de sa présence, avec laquelle on peut interagir, converser et dialoguer et qui répond comme l’intéressé l’aurait fait. Cela permet à des vivants qui sont incapables de faire le deuil d’un proche, de croire à l’éternité… Ne s’agit-il pas d’un détournement de la réalité, conçu pour nous tromper ? De plus, l’IA souffre des biais induits par les données qui ont servi à son « apprentissage ». Ainsi, dans leur traitement automatisé du langage, les automates régurgitent ce qui ressort fréquemment sur Internet, univers où le modèle puise ses « connaissances ». Si celles-ci ne sont pas sélectionnées ou vérifiées, la machine « apprend » du buzz, des opinions, ou des « fake news ». Les informations issues de Wikipédia ne représentent souvent que 0,6 % ses sources. Les algorithmes peuvent donc reproduire des biais, par exemple sexiste, en écartant le C.V. d’une femme parce que celles-ci sont sous-représentées dans le métier considéré, ou bien reproduire des phrases racistes, donc, en définitive, produire des informations fausses, apparemment réalistes et nous influencer à tort. Les sociétés qui créent de tels systèmes devraient, pour le moins, dire précisément comment elles alimentent leurs algorithmes… et cesser de prétendre produire de l’intelligence…

La diffusion d’outils portables multifonctions (des milliards de smartphones sont actuellement vendus dans le monde) et les échanges par téléphones, e-mails et S.M.S. nous accoutument à…

– un échange de messages simples et brefs, souvent formatés (du type « taka… ») et d’icônes… Ce qui nous fait perdre toute dextérité dans l’emploi du langage, surtout écrit ;

– une multiplication des relations superficielles et passagères avec des inconnus. Cela provoque une recherche insatiable de connexions avec de supposés « amis » et une recherche égocentrique compulsive de reconnaissance (faire parler de soi), au sein de groupes d’affinité, en recherche de notoriété (cf. sensibilité au nombre de « like »). Ce qui crée des relations d’interdépendance et de dépendance au verdict des clics ;

– tous ces contacts fugitifs nous rendent constamment soucieux de l’immédiateté des réponses… Nous en venons à ne plus vivre que dans l’instant présent sans futur, sous la dictature de l’urgence, dans la brièveté et même de la fugacité de l’attention, continuellement préoccupés de la nouveauté, des actualités, de l’accès à l’évènement, au best-seller du mois ;

– ce monde frénétique fait de nous des impatients chroniques. Pas de temps à perdre. Nous devenons intolérants aux inactivités et ne prenons plus le temps de la réflexion et de la méditation, qui seraient pourtant nécessaires pour comprendre les situations complexes auxquelles nous sommes confrontés et faire des découvertes au-delà du superficiel ;

– nous finissons par être obsédés de la continuité des relations par S.M.S., e-mails, ou tweets. Il nous faut absolument garder une connexion permanente et nous ne supportons plus la solitude.

D’où le succès de cette présence les uns aux autres que constituent réseaux sociaux, qui jouent alors un rôle de propagation. Par leur intermédiaire, les contestataires, même si leur nombre ne s’accroissait pas, ont de plus en plus le moyen de faire valoir leur opinion ! Or, chacun estime avoir le droit d’exprimer tout ce qui lui passe par la tête. Ce qui met sur le même plan l’avis des experts les plus compétents et l’opinion de n’importe qui. On a le sentiment que tout se vaut, que toutes les paroles sont égales, que la voix de chacun est aussi valable que celle d’un scientifique. Ce qui rend simultanément sceptique et crédule. On finit par ne plus croire en rien et ne plus avoir de convictions ou on se raccroche à une narration collective, même si elle est fausse (après tout si tant de gens sont du même avis, c’est sûrement vrai). Cela conduit à l’envahissement par les commentaires et controverses sur les chaînes d’information. Sur les réseaux sociaux, c’est la multiplication des protestations véhémentes, qui sont souvent de posture. Il n’y a plus que critiques haineuses, invectives, dénonciations et attaques ad hominem, au nom du droit à s’indigner, ce qui incite à imaginer des complots. Cela délégitime toute parole publique et entraîne la défiance systématique à l’égard du pouvoir et le manque de respect des institutions qui incarnent l’Etat. Les dirigeants démocratiques élus sont constamment critiqués, de même que la police et la justice. On aboutit à un écrasement des hiérarchies, dans une société qui s’horizontalise. C’est le rejet de l’autorité des anciens et des maîtres et même des parents et de l’école. C’est même une crise du respect de l’autre. Alors même qu’on aurait besoin de se centrer sur ce qui nous est commun. Tout le monde parle en permanence, mais personne ne débat vraiment. Il n’y a plus de volonté de prendre en considération les points de vue de ceux qui défendent des idées opposées aux siennes, ni d’argumentations étayées. Cela dévalue non seulement l’expression, mais aussi la pensée. Alors même que, simultanément, la technologie permet une surveillance sociale généralisée de chacun, notamment par des caméras !

Compréhension interculturelle

Serons-nous capables de protéger nos enfants des dangers qui nous menacent ?

J’ai publié récemment un livre intitulé « Dépasser les antagonismes interculturels Un défi vital pour le monde ». Il montre que tous les peuples font actuellement face des risques de destruction, auxquels ils sont confrontés ensemble… et ne pourront échapper qu’en s’alliant.

Le premier des défis qu’il nous faut surmonter aujourd’hui est certainement la dérive des équilibres naturels qui conditionnent notre survie : réchauffement climatique, accroissement sans limite de la population humaine et épuisement des ressources naturelles, diminution de la diversité de bien des espèces, pollution croissante, apparition de contaminations par des pandémies imprévues, etc. Il apparaît clairement qu’y remédier nécessite à la fois la transformation de nos usages vers plus de frugalité… et, plus fondamentalement, une évolution culturelle vers plus de coopération entre les nations et de limitations des pressions de lobbies privés, en faveur d’une croissance de la consommation sans limite et non régulée.

J’ai, par ailleurs, été, personnellement, impliqué, de la fin des années 1980 à la fin des années 2000, dans des missions de conseil auprès des dirigeants de plus de 70 banques et j’ai enseigné la stratégie à des cadres supérieurs pendant plus de dix ans, dans le cadre du Centre d’Etudes Supérieur de Banque (C.E.S.B.). Cela m’a fait travailler sur l’importance du coût des risques, le poids croissant des activités financières… et le changement des attitudes culturelles des dirigeants. J’ai également piloté une étude qui montrait les réticences du secteur bancaire à prendre en compte, dans ses activités, les menaces sur les équilibres écologiques, concernant l’environnement et le développement durable. Depuis le début des années 2000, j’ai surtout participé à des actions de lutte contre le blanchiment de l’argent provenant d’activités criminelles… et à des mises en place de dispositifs de conformité, audit et contrôle interne. Ce qui m’a amené à de nombreuses interventions pour prévenir les fraudes financières, ou en limiter les effets. Ça a été l’occasion, pour moi, d’observer bien des transactions internationales d’évasion fiscale, qui échappaient au contrôle, mais aussi l’exposition croissante des banques à la cybercriminalité. Toutes ces expériences m’ont permis de constater le transfert de la création monétaire à la distribution des crédits et l’inflation de l’endettement mondial, au niveau des entreprises, y compris publiques… et des particuliers, dans certains pays, mais aussi au niveau des Etats, dont on ne discerne plus comment ils pourront rembourser. Ces interventions m’ont montré que l’économie était de plus en plus dépendante des transactions spéculatives sur les marchés financiers, déconnectées de ce qui conditionne notre vie, sans que personne le maîtrise. Mais comment mettre de l’ordre dans ce domaine sans y œuvrer tous ensemble ?

Nous sommes, ainsi, exposés à des bouleversements de nos conditions d’existence, qui pourraient aller jusqu’à la suppression toute vie sur terre. Est-ce insurmontable ?

On peut rester optimiste, si on se réfère à l’évolution dont l’humanité a été capable : il y a de moins en moins d’humains qui vivent dans la misère et de famines, notre vie est plus facile que celle de nos ancêtres, nous sommes moins confrontés à la violence et nous avons plus de temps pour nos loisirs… et la plupart d’entre nous vivent plus longtemps et en meilleure santé.

Cela ne veut pas dire que nous devions considérer que les indéniables progrès des connaissances scientifiques et des technologies vont résoudre nos difficultés. On peut se demander si leurs effets sont toujours bénéfiques, ou, a fortiori, suffisants. La révolution informatique et Internet ont bouleversé nos accès aux informations et nos capacités de traitement des données. Mais les heures que nous passons face aux écrans ou à nos smartphones, le pouvoir sans contrepartie des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), la vidéo-surveillance des gens et les manipulations de nos profils par l’intelligence artificielle et les opinions divulguées sur les réseaux sociaux sont-ils toujours des progrès ? Le nucléaire, les robots, les plates-formes, les pesticides, les bio et nanotechnologies et le « blockchain » n’ont-ils que des aspects positifs ?

Pour réussir à dépasser les défis qui nous menacent, il est surtout indispensable que nous nous souciions plus de nos intérêts communs et des besoins de la société. Ce qui suppose de contenir les exigences de certains individus, ou minorités, donc de savoir à la fois intégrer les aspirations particulières de certains, en fonction de leur appartenance à un groupe sexuel, ethnique, ou religieux spécifique… et de résister aux pressions de quelques-uns, au détriment du collectif. Par exemple, combattre les attaques mondiales des islamistes. Y arriver suppose d’être capable de s’intéresser aux étrangers et s’ouvrir à eux, afin de comprendre leurs attentes. C’est ce que j’ai tenté d’illustrer dans mon livre « Rencontrer les Autres… cultures autour du monde », dans lequel je tente de décrire des particularités des Américains, Africains, Arabes, Indiens, Chinois ou Japonais, mais aussi des autres Européens, Anglais, Allemands, Italiens… ou Français.

La cohésion entre nous est, en effet, primordiale pour arriver à surmonter nos risques vitaux actuels. On le voit bien quand on analyse les difficultés de l’Europe, ou les mises en cause des principes démocratiques qui permettent à chacun d’avoir une influence sur ses conditions de vie. Y arriver suppose que nous convenions d’un socle de valeurs partagées.

Je pense aux suivantes : l’honnêteté et la vérité, qui fondent la lucidité (par opposition aux mensonges et tromperies), l’esprit critique et la rationalité, qui nous permettent des raisonnements valides, la justice, la protection de la sécurité et l’équité, qui permettent d’identifier ceux qui méritent la compassion et l’assistance des autres, une liberté assortie de responsabilité, la tolérance, fondement d’une laïcité dépassant ses ambiguïtés… et la solidarité, l’entraide et la coopération.

Compréhension interculturelle

Comprendre la laïcité

La laïcité est souvent mal comprise. Elle n’est pourtant que la résultante des trois valeurs fondamentales de la république française, qui permettent la cohabitation en paix de communautés hétérogènes. Encore faut-il s’expliquer sur les aspects paradoxaux de la laïcité.

La plupart des pays de la majorité des continents, ont adopté la laïcité, notamment en Occident. Pourtant, certains Américains ont souvent tendance à considérer la laïcité française comme une forme de dogmatisme, d’un régime qui serait hostile aux croyances religieuses. Il n’en est rien.

Ainsi, contrairement à ce qu’ils affirment parfois, la plupart des Français ne sont pas hostiles aux musulmans. Les Américains ne sont-ils pas, d’ailleurs, parmi ceux qui devraient éviter d’accuser la France de racisme ? En fait, La France, qui comporte la minorité la plus importante de musulmans en Europe, respecte l’Islam, une foi de 1400 ans, qui compte au moins 2 milliards de croyants pacifiques dans le monde. S’il arrive qu’il y ait des tensions avec des musulmans, ce ne sont pas les attitudes des Français qui les provoquent, mais plutôt les affrontements avec des islamistes, qui, en s’arc-boutant sur des croyances qui ne laissent aucune place au doute et refusent la modération, incitent à des exactions terroristes. Ces extrémistes voient dans la laïcité une intolérable barrière à leur impérialisme théocratique, souvent fondé sur des détournements des pratiques, des textes et des traditions. Au nom de celui-ci, ils s’efforcent de séparer les communautés musulmanes de l’ensemble des Français… et aussi de faire croire à leurs coreligionnaires qu’ils ne peuvent pas être citoyens d’une France laïque… Le souci des Français est à la fois d’intégrer leurs compatriotes musulmans et de combattre l’islamisme. Qui pourrait admettre qu’un homme en assassine un autre sous prétexte d’une divergence de pensées, ou parce qu’il a le sentiment que ses convictions sacrées ont été offensées ? Cependant, marquer son attachement à la distinction entre Islam et islamisme exaspère ceux qui ont érigé leur magistère sur la confusion des deux.

Cet exemple montre bien qu’il est nécessaire d’expliquer la laïcité, que la plupart des Français partagent, quelle que soit leur diversité ethnique et culturelle.

D’ailleurs, l’objectif n’est pas la laïcité, mais la solidité de ce qui assure la paix entre les groupes sociaux qui composent le pays. La société française est pluriculturelle et héberge donc de multiples croyances, qui ne peuvent coexister sans tolérance. C’est pourquoi, pour gouverner les relations entre les hommes, la République a défini des lois, qui s’imposent à tout citoyen qui se reconnait et est reconnu comme Français. Les piliers en sont la liberté, l’égalité et la fraternité, qui permettent la vie dans la sécurité et le progrès. Il en découle, par exemple, l’interdit de l’esclavage, des tribunaux religieux, des distinctions discriminantes entre filles et garçons, de la polygamie, des atteintes corporelles sur autrui, etc. Les lois fondamentales immuables de la République offrent ainsi à chacun la possibilité de vivre, dans la fraternité, en ayant une totale liberté de croire ce qu’il veut, donc de pratiquer la religion qu’il veut, d’où la reconnaissance de la diversité des églises… et une complète égalité de droits, garantie par les devoirs de tous. Cependant, ces principes sont sans cesse menacés par des attaques de forces idéologiques, religieuses, ou sectaires, privatrices de liberté, qui prétendent organiser et maîtriser la société en fonction de leurs propres règles et s’interposent entre l’Etat et les citoyens. Les lois qui garantissent le respect des autres doivent donc être sans cesse rappelées. Il revient à l’Etat, élu par le peuple, d’en assurer la stabilité et le respect. Même si les citoyens informés, conscients de la nécessité de préserver leur système social, participent à cette vigilance. Les cultes sont libres, mais seulement jusqu’au moment où ils prétendent prévaloir sur le politique et sont prosélytes, en s’appuyant sur la terreur de la mort et des interventions d’un Dieu tout-puissant. Il est donc impératif que leurs interventions soient canalisées.

C’est la raison d’être de la laïcité, qui n’est, au fond, que le reflet des valeurs fondamentales de la République française : liberté, égalité et fraternité. Elle repose sur la liberté de conscience de tous et la non-discrimination pour raison de convictions, donc à la fois sur la liberté de choisir d’adhérer à toutes les religions, ou à aucune d’entre elles… et sur le respect de l’altérité.

La laïcité ne s’oppose pas aux religions. Au contraire, elle est le rempart bienveillant qui garantit le respect de la liberté religieuse, puisqu’elle affirme le droit de chacun de croire ce qu’il veut, tant qu’il ne l’impose pas aux autres. Il est primordial de ne pas confondre laïcité et athéïsme… Cette « liberté de croire ou de ne pas croire », au niveau des individus, est à l’origine de particularités de la laïcité qui s’est développée en France. Celles-ci peuvent parfois poser question, car la laïcité a des aspects paradoxaux. On ne peut pas les nier, au risque de souligner des failles qui pourraient être exploitées par des contestataires. Il existe ainsi au moins sept sources éventuelles d’incompréhension de la laïcité.

Tout d’abord, la séparation entre l’Etat et les religions, que défend la laïcité française, peut marginaliser le religieux, qui est responsable de lui-même. La loi française de 1905, qui distingue les Eglises et l’Etat, affirme : « La République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ». Cette division n’est pas le choix de pays tels que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, dans lesquels l’Etat soutien les églises, notamment chrétiennes, qui bénéficient d’un concordat.

Le clivage entre le religieux et l’Etat, peut alors être ressentie comme une exclusion de la religion de toute place dans ce qui est public. Le but était de faire en sorte que la fonction publique soit donc d’une totale neutralité et n’exerce aucune influence en faveur d’une religion ou de l’athéisme. Le souci de neutralité va jusqu’à prôner un évitement de toute évocation de ses convictions. Cela s’est traduit par l’interdiction, pour les fonctionnaires, d’afficher tout signe de leurs croyances religieuses… et a même entraîné, depuis 2004, l’interdiction des signes religieux dans les enceintes publiques, que certains peuvent contester.

Fondamentalement, le principe de la laïcité est qu’il incombe à l’Etat de veiller à ce que chacun ne soit pas discriminé en fonction de sa religion, ni de la couleur de sa peau ou de son origine sociale. Ce qui incite la République à ne faire aucun cas de la religion des individus, voire même à considérer qu’il lui faut éviter de parler des religions… Ce qui délimite la place des religions.

D’ailleurs, pour certains laïques, les croyances, religieuses ou non, sont à reléguer dans le privé. Le religieux n’est libre qu’à condition qu’il reste dans le sanctuaire des affaires et activités intimes. A la limite, la vieille problématique de la prééminence entre le spirituel et le temporel aboutit alors à une négation de la spiritualité… Cela fait que d’autres laïques estiment qu’au contraire, il importerait que l’Etat reconnaisse l’existence du religieux. Pour eux, la crispation et la défiance de la République à l’égard des questions spirituelles font obstacle au dialogue. Toutefois, d’autres considèrent qu’octroyer ainsi un statut d’exception à la croyance religieuse serait nier la laïcité, qui permet y compris de ne pas croire en Dieu.

D’autre part, il peut y avoir des tensions entre le respect de la liberté des croyances et la liberté d’expression. Dans le but que chacun soit libre de ses convictions, la laïcité veille à ne favoriser aucune religion. Elle ne s’autorise pas à critiquer les religions, ou à prôner l’athéisme. Et elle a le souci de prévenir les censures, notamment religieuses et a considéré qu’il incombait à l’Etat de veiller à ce que nul n’exerce de pression sur les autres, en faveur de ses propres croyances. Cependant, en même temps, la laïcité défend la liberté d’expression. Ce qui fait qu’elle admet que l’on critique les religions. On peut donc émettre ses opinions, susceptibles, parfois, d’heurter les autres. Mais la laïcité ne peut-elle qu’encourager le respect de l’autre et s’opposer au blasphème, qui peut sciemment blesser des croyants. Elle soutient donc la modération… et est défavorable à tout prosélytisme pour une religion, ou pour l’athéisme.

Par ailleurs, la volonté de protéger les individus des influences qui pourraient restreindre leurs libertés, a conduit la laïcité à considérer qu’il incombait à l’Etat d’assurer l’éducation, notamment civique, des citoyens. L’Etat laïque a, en particulier, la responsabilité d’enseigner aux enfants ce qui leur permettra de renforcer leur information, leur esprit critique et leur discernement… et de développer leurs capacités et leurs talents. C’est là, entre autres, la reconnaissance qu’il revient à l’Etat d’inciter et entraîner les hommes à l’application de ses lois. Ce qui peut entrer en concurrence avec les prescriptions éthiques des religions… Le rôle éducatif de l’Etat va même jusqu’à l’affirmation que l’école laïque a la charge de l’enseignement non religieux de la religion. Au risque de dissensions avec les communautés religieuses.

Enfin, la liberté d’expression que défend la laïcité fait qu’elle n’exclut pas la liberté de critiquer y compris les lois. Il en résulte que ses normes peuvent être contestées et que les pratiques peuvent être évolutives : ce fut le cas récemment, par exemple, concernant le mariage, le divorce, les menus différenciés dans les cantines, l’ensevelissement ou la crémation des défunts, etc. Ce qui peut aboutir à des antagonismes, qui seraient irréductibles, si l’on considère que c’est l’essence même des religions que de se placer au-dessus de tout. Ainsi, certains extrémistes catholiques, juifs, ou hindouistes et, selon des enquêtes récentes, près des trois quarts des jeunes musulmans affirment, non sans provocation, que les valeurs de leur religion prévalent sur celles de la République. Ce qui va à l’encontre du rôle de la communauté nationale, à qui il incombe d’édicter des lois pour préserver l’union du peuple, donc, en premier l’égalité des droits de tous. La laïcité accepte ainsi les différences, sauf si elles remettent en cause les lois de la République. Aucun ne peut se prévaloir de règles allant à l’encontre des lois… Les adeptes de toutes les communautés religieuses sont tenues de s’y conformer, quelles que soient leurs croyances. Même au cas où certains de leurs principes n’y seraient pas totalement conformes. En cas de divergence, la laïcité encourage le débat et la coopération… et considère que, sans accord, il convient de se référer aux grandes valeurs universalistes.

Compréhension interculturelle

À quoi bon… et comment l’Europe?

L’Europe résulte de l’union volontaire d’Etats démocratiques, qui ont mis en commun une partie de leur souveraineté pour assurer une paix entre eux et créer une force économique.

Cependant, actuellement, bien des européens doutent parfois des résultats obtenus.

Pourtant, si on en récapitule les effets, on constate que les Européens ont profité des apports positifs de cette union. Même s’il est indispensable d’aller plus loin pour surmonter les insuffisances résiduelles. Ce qui nécessite avant tout un travail sur le terrain culturel.

Les acquis de l’Europe sont évidents sur au moins cinq plans.

Tout d’abord, depuis 75 ans, c’est la première fois dans l’histoire que les Européens vivent en paix aussi longtemps.

Ils ont aussi profité de la prospérité et du niveau de vie apportés par les progrès technologiques qui ont enrichi la société et le développement des coopérations économiques en l’Europe. On s’y soigne plutôt bien et on peut y avoir un niveau relativement élevé de bien-être. On y accède ainsi à des quantités d’informations, on y voyage facilement et on y franchit librement des frontières qui étaient longtemps restées fermées.

Ceux qui vivent en Europe bénéficient également des valeurs humanistes de la démocratie, en particulier la tolérance et l’indépendance de la justice et « les droits inviolables et inaltérables de la personne humaine, la liberté, l’égalité et l’Etat de droit », que défend la Constitution européenne.

L’Europe, c’est encore le soutien des plus faibles, dans un monde où plus de 6 % de la population y sont employés dans l’économie sociale.

Enfin, avec près de 450 millions d’habitants, l’Europe est le premier ensemble de producteurs et de consommateurs du monde. Il attire toutes les convoitises. La solidarité en Europe renforce alors son poids face aux autres blocs, tels que les U.S.A., la Chine, la Russie, ou l’Inde. Les Européens sont plus forts, ensemble, pour se défendre dans les confrontations. Ils ont fait preuve de leur capacité de cohésion, en constituant une monnaie commune qui les protège, ou face au Brexit. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour une meilleure mise en commun des compétences, comme le montre, par exemple, l’infériorité de l’Europe dans des domaines tels que les technologies de l’information. Ce retard n’est pas inéluctable. Les réactions rapides et puissantes de l’Union Européenne et de sa banque centrale face à la pandémie du virus Covid-19 (cf. proposition de la Commission Européenne d’emprunter 750 milliards d’€ pour soutenir les pays de l’Union en difficulté) viennent de prouver que l’Europe est capable de s’entendre pour surmonter les crises.

Tout ceci fait ressortir la convergence entre les intérêts des uns et des autres.

Les européens peuvent s’accorder sur des grands objectifs collectifs, par exemple pour se résoudre les difficultés sanitaires et économiques, écologiques, concernant les investissements industriels, ou la défense commune.

Ce qui suppose que les pays qui composent l’Europe arrivent à dépasser le chacun pour soi qui fait que, trop souvent, une partie de la population cherche à profiter des effets des mises en commun, sans en accepter les astreintes et obligations en contrepartie. L’Union Européenne ne fonctionnera qu’à condition de dépasser les oppositions entre égoïsmes nationaux, notamment quand il s’agit de décider de contributions, de fiscalité ou d’attributions de subventions.

Ce n’est donc pas la restauration de la souveraineté des Etats-nations qui est nécessaire. Les Européens ont plutôt besoin d’une souveraineté européenne, qui ne soit pas incompatible avec les souverainetés nationales.

Ce qui ne veut pas dire que l’identité nationale soit un résidu indésirable du passé. On peut défendre simultanément son attachement à l’identité de sa propre culture et son patriotisme… et œuvrer pour la réussite collective.

Etre dans la même Union ne veut d’ailleurs pas dire être tous pareils.

Cela suppose que les Européens sachent dépasser, sans les renier… et intégrer les différences culturelles entre les nations. Certains sont sans doute plus disciplinés… ou dépensiers. L’Europe s’enrichit de la diversité des multiples particularités, traditions et talents nationaux.

L’amélioration de la coopération entre les pays européens n’est pas une utopie. Elle est possible, ne serait-ce que parce qu’après tout, les pays européens partagent largement les mêmes conceptions de la société et valeurs fondamentales, telles que l’honnêteté, l’équité dans le partage des charges, la loyauté, la justice, l’esprit critique et la raison, le courage d’assumer sa part des responsabilités et l’entraide.

Consolider leur compréhension mutuelle et leur entente suppose d’être en confiance. Cela nécessite une meilleure connaissance des préoccupations spécifiques des autres. Il importe donc de consolider les liens du quotidien et développer les programmes d’échanges culturels, tels qu’Erasmus… et, aussi, de développer un travail en commun sur d’élucidation de ce qui caractérise la culture européenne.

Compréhension interculturelle

Maîtrisons-nous les effets de la mondialisation ?

La mondialisation a entraîné un progrès économique. Mais tous les pays n’en ont pas profité, l’Occident s’est dessaisi de certains de ses atouts et l’équilibre géopolitique entre les nations s’est déplacé. Il devient primordial de soutenir les complémentarités entre les peuples et lutter contre les tentations égoïstes, mais aussi de remédier aux conséquences écologiques du développement… et anticiper les effets induits par la mise en place d’un monde du numérique.

La mondialisation a d’abord été industrielle. Historiquement, le savoir et les technologies ont été à l’origine du progrès économique de l’humanité. Qu’on pense, par exemple, dans le domaine de l’énergie, à la découverte du feu, puis à la domestication animale, aux machines à valeur, à l’utilisation des énergies fossiles (automobile, aviation…) et au nucléaire. Au cours des derniers siècles, ces connaissances ont été essentiellement développées par les chercheurs des pays occidentaux (sciences, mécanisation, organisation…). Leurs motivations étaient souvent de trouver des inventions, plus que de gagner de l’argent. Les savants étaient prêts à tous les échanges. Ce qui les engageait souvent dans les activités d’enseignement.

D’autres pays aspiraient à un développement économique et disposaient d’une population misérable susceptible de constituer une main d’œuvre à bas coût. Au cours des dernières décennies, ils envoyèrent certains de leurs enfants étudier dans les pays développés… et négocièrent, avec les industriels de ces pays, l’implantation d’usines sur leur territoire. Les industriels occidentaux, qui aspiraient à faire des économies de main d’œuvre, acceptèrent des délocalisations industrielles. Les pays émergents devinrent capables d’une production d’un prix peu élevé. Ils l’écoulèrent en priorité pour la clientèle solvable des pays développés, les Occidentaux important ces produits. Il se créa, progressivement, une interdépendance technique et économique entre les pays émergents et développés, presque en symbiose. Il en résulta des déficits commerciaux des pays occidentaux. Tandis que les pays émergents dégageaient des marges de profit qui leur permettaient, ensuite, des transferts de fonds massifs (achats des obligations d’Etat et emprunts des pays développés…) et des investissements importants.

Un nouveau partage des rôles s’était établi : le savoir dans les pays occidentaux, la production et la croissance dans les pays peu développés, la consommation dans les pays occidentaux.

Avec cette coopération internationale, la production moyenne par habitant s’est accrue fortement. Elle aurait ainsi plus que décuplé entre 1800 et 2000. En sorte que le développement de la coopération entre les pays occidentaux et les pays émergents a contribué à une prospérité mondiale accrue. Les pays émergents accédèrent à une consommation qui sortait de la misère une large partie de leur population. Ils se développèrent. Ce qui induisit une baisse très nette de la pauvreté dans le monde, puisque, selon la Banque mondiale, il n’y aurait plus que moins de 9 % des humains à vivre dans une extrême pauvreté (contre plus de 37 %, en 1990).

Mais cet équilibre ne fut que temporaire. Plusieurs facteurs le perturbèrent. Les pays émergents se dotèrent ainsi rapidement de connaissances de pointe… et se modernisèrent. Trois processus les y aidaient. Le savoir était diffusé gratuitement par les échanges entre les laboratoires de recherche… et les étudiants des P.V.D. étaient accueillis facilement dans les universités des pays occidentaux, souvent sans guère payer, notamment en France. Les pays émergents créaient des universités de pointe. Ainsi l’Inde forme plus d’ingénieurs que la plupart des pays occidentaux, notamment en électronique. Par ailleurs, des entreprises occidentales acceptaient des conditions de partage de leur savoir-faire, comme Dassault le fit, en Inde. Ou bien elles installaient une part croissante de leurs usines à l’étranger, comme Renault en Bulgarie ou en Turquie… En même temps, dans les pays occidentaux, l’emploi des classes moyennes modestes (ouvriers, techniciens, employés) diminuait… On risquait de se retrouver dans un jeu à somme nulle, où chacun s’efforcerait de consolider sa position au détriment des autres. Les pays émergents prirent conscience qu’ils étaient limités par la nécessité de préserver un niveau de prospérité suffisant des occidentaux, pour que ceux-ci soient en mesure de continuer à acheter leurs productions. Il fallait lutter alors contre les tentations de réactions égoïstes, pour profiter de ses atouts ou se défendre… et instaurer, dans ce but, de nouvelles régulations.

Dans le monde agricole, il en fut un peu différemment, car les productions y dépendent largement des caractéristiques locales de la terre et du climat. Partout, dans le monde, la sécurité alimentaire dépendait de ces conditions géographiques et des échanges entre les pays. Or la demande alimentaire augmentait avec l’urbanisation, accrue par l’industrialisation, puisque 55 % de la population mondiale vit aujourd’hui en ville, alors que c’était moins de 4 % en 1500.

La situation était tendue, compte tenu du développement démographique (de la population humaine de la terre) : Moins de 1 milliard en 1800. Plus de 6 fois plus, actuellement

Les scientifiques et techniciens en biologie trouvèrent alors des procédés pour se libérer de la dépendance à la nature. Ils découvrirent des engrais susceptibles d’augmenter la production et en organisèrent la production de masse (phosphates…). Ils inventèrent des produits phytosanitaires, pour se débarrasser des « mauvaises » herbes, ou éliminer certains animaux « nuisibles » (insectes…). Ils créèrent des élevages hors sol et des productions sous serre irriguées au goutte à goutte (par exemple, pour les tomates, aux Pays-Bas). Ils décomposèrent les processus de production, ce qui permit à certains pays de s’approprier une part croissante des productions (cf. abattoirs installés en Allemagne, employant une main d’œuvre provenant des pays d’Europe centrale). Tout ceci débouchait à la fois sur des redistributions des rôles entre les pays… et des perturbations écologiques majeures. Et cela contribue à induire des menaces de propagation d’épidémies. Les grandes entreprises d’alimentation occidentales tentèrent alors d’occuper des positions dominantes, au détriment des pays sous-développés (cf. appropriation de graines par Monsanto…).

D’ailleurs, tout le processus de mondialisation ne s’est pas fait sans effets pervers.

Tout d’abord, l’augmentation de la production consommait une part accrue des ressources naturelles (matières première et sources d’énergie…) d’une terre aux dimensions limitées. On peut se demander si ce fut toujours anticipé et pris en compte.

Par ailleurs, l’instauration de méthodes de production industrielles intensives fut source de détériorations des conditions écologiques de survie des humains : pollutions, réchauffement climatique, envahissement, y compris des mers, par des déchets (plastiques…). Ce qui contribue à une multiplication des catastrophes : sécheresses, incendies, inondations, tornades, cyclones.

Ajoutons que depuis la fin du vingtième siècle nous avons de nouveaux défis, car nous sommes rentrés dans un âge d’interconnexion numérique des réseaux de communication entre les sociétés, dont il n’est pas certain que nous maîtrisions les effets.

Tout ceci nous contraint aujourd’hui à affronter et surmonter de multiples menaces, qui nous imposeront à des changements majeurs. En sommes-nous conscients et y sommes-nous prêts ?