Même si la violence n’est pas dans la nature humaine, elle est néanmoins présente chez certains, ce qui provoquera inévitablement des conflits. Cependant, aujourd’hui, comme je le montre dans « Dépasser les antagonismes interculturels Un défi vital pour le monde », les actions de quelques-uns peuvent être fatals à toute la vie sur terre. Il est donc indispensable et possible de limiter les conflits armés. On le peut si l’on est convaincu que c’est nécessaire, en employant une force non violente résolue.

Si l’on pense que la nature humaine a le mal en soi, comme le disaient notamment Saint Augustin, Machiavel, Luther, Hobbes, ou Adam Smith, les hommes auraient inexorablement une hostilité aux autres. IL en résulterait qu’l y aurait toujours des agressions et des guerres.

« Pour justifier ces antagonismes, certains évoquent que l’évolution résulte… de la lutte pour l’existence (« struggle for life ») décrite par ùDarwin : historiquement, la sélection des individus proviendrait d’un affrontement compétitif…, à l’issue duquel ne survivaient que les plus forts et agressifs, éliminant les autres… Pourtant, on sait aujourd’hui que des processus d’entraide, y compris entre espèces, ont été déterminants… Ceux qui ont survécu ont dû s’appuyer sur d’autres et protéger les leurs, au moins leurs progénitures » (page 240).

Pour ma part, je pense que les hommes ne sont naturellement ni bons, ni mauvais. Tout dépend de leur éducation et de leurs expériences.

Ce que j’ai observé, durant toute ma vie professionnelle, c’est que, couramment, entre 10 et 20 % des gens s’efforcent de faire le bien et ont le souci des autres, tandis qu’entre 10 et 20 % des humains ignorent ou transgressent systématiquement leurs obligations sociales et tentent constamment de vivre aux dépens des autres. Il reste entre 60 et 80 % de la population, qui respectent habituellement leurs devoirs, mais profitent aussi des occasions, sans se gêner.

S’il en est bien ainsi, il en résulte trois conséquences :

– On ne peut pas, pour instaurer la paix, compter sur la diffusion d’un discours moral, qui ne convaincrait sans doute qu’une minorité.

– Il importe plutôt de faire en sorte que la majorité perçoive qu’il est dans son intérêt de tenir compte des autres, essayer de comprendre leurs intérêts et coopérer avec eux.

– Il restera toujours une marge de malfaisants, qui chercheront constamment à nuire.

Il y aura donc probablement toujours des antagonismes entre les hommes, à des degrés divers : méfiances interpersonnelles, hostilités et agressions, tentations de certains, surtout les plus puissants, d’user de la force, pour laquelle les possibilités économiques et militaires sont déterminantes, pour faire valoir leurs propres intérêts ou croyances, écraser les oppositions et l’emporter, utilisation de la violence pour faire fléchir ou même détruire ses adversaires, brutalités qui l’emportent sur la raison, meurtres et guerres.

Quelles sont les raisons pour lesquelles se développent ces antagonismes interpersonnels ?

Parfois on observe des réactions hostiles, sous prétexte de se défendre des attaques des autres.

Il arrive aussi que les tensions interpersonnelles résultent simplement de rivalités fraternelles.

Il restera toujours des intérêts antagonistes et des concurrences pour les ressources, le rang, ou le pouvoir. Ce qui peut induire des réactions susceptibles d’entraîner des conséquences néfastes. Il est pourtant de très nombreuses situations dans lesquelles la coopération serait plus fructueuse. J’ai pu le démontrer dans l’expérience « que je cite dans mon ouvrage sur « La décision », pages 147 à 160. Il s’agissait… d’étudier des choix de groupes, dans des situations dans lesquels les résultats qu’ils obtiennent dépendent aussi des décisions de leurs adversaires. Spontanément, la plupart des groupes… « s’enferment dans un comportement suicidaire d’antagonisme à l’égard des autres… Ils ne se posent même pas la question de leurs propres objectifs… et leur analyse des opportunités de la situation est… presque toujours… insuffisamment rigoureuse… Seule une possibilité de négociation entre les groupes permet d’élaborer une stratégie commune… à condition qu’elle ne soit pas d’emblée bafouée par une trahison, qui rend évidemment improbable, pour la suite, la confiance nécessaire » (page 104). Pourtant des désaccords le partage des biens ne débouchent pas nécessairement sur des conflits. On peut décider d’un partage pacifiquement. Mais il y aura toujours des gens pour qui la compétition est confondue avec la recherche de « l’élimination ou, même, de la destruction de ses adversaires… Alors que l’existence d’antagonistes peut être bénéfique pour se renforcer… et peut même être profitable à tous, comme l’ont démontré les succès économiques du libéralisme, notamment pour le développement des pays émergents » (page 104).

Il restera encore éternellement des égoïstes et des cupides, qui ne se soucient que de défendre leurs propres intérêts et exploitent les autres : « Il est normal que chacun s’efforce d’améliorer sa situation… et de conserver ses avantages… On peut comprendre que, face aux difficultés, la tendance spontanée de chacun soit… de chercher à en tirer le meilleur » (page 104). Ce qui peut conduire à tenter de s’approprier les biens d’autrui. Y remédier suppose de « mettre en oeuvre des moyens pour empêcher que certains s’approprient tout… Il est vital que ceux qui possèdent plus, acceptent de partager, au moins une partie de ce qu’ils ont » (page 105).

Au-delà des intérêts antagonistes, il y arrivera aussi toujours, qu’il y ait des divergences d’opinions, de croyances, de convictions, ou des prises de position qui s’opposent. Certains ont ainsi des attitudes racistes, ou peuvent humilier les autres. Pourtant, « les désaccords n’impliquent pas… le dénigrement mutuel systématique, qu’illustrent les positions des politiciens. On peut s’efforcer de comprendre, avant de critiquer. L’argumentation pour défendre ses positions en sera meilleure. Ce n’est pas parce que nos idées s’opposent, que le dialogue… ne peut pas être bénéfique. Au contraire, l’échange n’en sera, généralement, que plus enrichissant » (page 104).

Il y aura également sans doute toujours des mégalomaniaques qui aspirent à dominer et s’assujettir les autres. Ils visent à exercer une volonté hégémonique et, pour triompher, tentent souvent de diviser pour régner.

Enfin, il y aura toujours « des criminels, des fous cruels et des sadiques, tirant leur plaisir du mal qu’ils/elles infligent aux autres… Il faudra toujours lutter contre eux » (page 105).

On ne pourra donc probablement jamais éviter totalement les conflits armés. Pourtant, il ne n’est plus possible de laisser se perpétuer ces antagonismes, pour au moins trois raisons :

– C’est inefficace. « Nous avons pris conscience qu’« on ne peut jamais détruire tous ses ennemis », comme le disait Bill Clinton à propos des contentieux entre Israël et Palestiniens. Ceux qui survivent en sont renforcés dans leur incitation à l’antagonisme. Ce qui débouche nécessairement sur d’incessantes confrontations armées… D’ailleurs, les résultats des conflits des cinquante dernières années au Moyen Orient (Palestine, Afghanistan, Irak, Syrie, etc.) font douter que la victoire des plus forts fonctionne encore » (page 106). La guerre est, en tout cas, bien moins efficace, aujourd’hui, que les échanges commerciaux, pour défendre ses intérêts.

– On ne peut plus laisser faire car, « aujourd’hui, tout affrontement peut être fatal, ne serait-ce que parce que les armements qui permettent des « destructions massives » sont accessibles à bien des pays, qui sont de plus en plus nombreux à posséder les moyens d’éliminer l’humanité entière et même toute vie sur terre… Toute attaque serait inévitablement réciproque… et conduirait à une annihilation mutuelle » (page 106).

– Il est possible d’instaurer des pratiques qui évitent les conflits armés comme nous le démontrons, « depuis 75 ans, en ayant su éviter, avec la dissuasion, de nous détruire avec la bombe atomique » (page 106).

Il est donc primordial de faire le nécessaire pour maîtriser ceux qui sont à l’origine de conflits armés, afin de leur imposer d’agir en faveur de l’intérêt général.

Que faire pour cela ? La première des conditions est de contrôler les ventes d’armements. Mais le plus déterminant est d’exercer une résistance par la force qui convainque ses adversaires d’adopter une attitude constructive, tout en évitant de se trouver engagé dans des rapports de violence réciproque. Les exemples de Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela ont montré que l’on peut imposer des changements, sans violence. Ce qui suppose d’avoir le courage d’être prêt à risquer sa vie. En effet, de l’ordre des deux tiers de ceux qui promeuvent des démarches pacifistes courent le risque de finir par être assassinés, comme l’illustrent les cas de Jean Jaurès, Gandhi, Martin Luther King, Robert Kennedy et Yitzhak Rabin. Mais cela n’a pas empêché le succès de leurs mouvements pour l’indépendance, en Inde, pour les droits civiques, aux Etats-Unis, ou pour la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.