La laïcité est souvent mal comprise. Elle n’est pourtant que la résultante des trois valeurs fondamentales de la république française, qui permettent la cohabitation en paix de communautés hétérogènes. Encore faut-il s’expliquer sur les aspects paradoxaux de la laïcité.

La plupart des pays de la majorité des continents, ont adopté la laïcité, notamment en Occident. Pourtant, certains Américains ont souvent tendance à considérer la laïcité française comme une forme de dogmatisme, d’un régime qui serait hostile aux croyances religieuses. Il n’en est rien.

Ainsi, contrairement à ce qu’ils affirment parfois, la plupart des Français ne sont pas hostiles aux musulmans. Les Américains ne sont-ils pas, d’ailleurs, parmi ceux qui devraient éviter d’accuser la France de racisme ? En fait, La France, qui comporte la minorité la plus importante de musulmans en Europe, respecte l’Islam, une foi de 1400 ans, qui compte au moins 2 milliards de croyants pacifiques dans le monde. S’il arrive qu’il y ait des tensions avec des musulmans, ce ne sont pas les attitudes des Français qui les provoquent, mais plutôt les affrontements avec des islamistes, qui, en s’arc-boutant sur des croyances qui ne laissent aucune place au doute et refusent la modération, incitent à des exactions terroristes. Ces extrémistes voient dans la laïcité une intolérable barrière à leur impérialisme théocratique, souvent fondé sur des détournements des pratiques, des textes et des traditions. Au nom de celui-ci, ils s’efforcent de séparer les communautés musulmanes de l’ensemble des Français… et aussi de faire croire à leurs coreligionnaires qu’ils ne peuvent pas être citoyens d’une France laïque… Le souci des Français est à la fois d’intégrer leurs compatriotes musulmans et de combattre l’islamisme. Qui pourrait admettre qu’un homme en assassine un autre sous prétexte d’une divergence de pensées, ou parce qu’il a le sentiment que ses convictions sacrées ont été offensées ? Cependant, marquer son attachement à la distinction entre Islam et islamisme exaspère ceux qui ont érigé leur magistère sur la confusion des deux.

Cet exemple montre bien qu’il est nécessaire d’expliquer la laïcité, que la plupart des Français partagent, quelle que soit leur diversité ethnique et culturelle.

D’ailleurs, l’objectif n’est pas la laïcité, mais la solidité de ce qui assure la paix entre les groupes sociaux qui composent le pays. La société française est pluriculturelle et héberge donc de multiples croyances, qui ne peuvent coexister sans tolérance. C’est pourquoi, pour gouverner les relations entre les hommes, la République a défini des lois, qui s’imposent à tout citoyen qui se reconnait et est reconnu comme Français. Les piliers en sont la liberté, l’égalité et la fraternité, qui permettent la vie dans la sécurité et le progrès. Il en découle, par exemple, l’interdit de l’esclavage, des tribunaux religieux, des distinctions discriminantes entre filles et garçons, de la polygamie, des atteintes corporelles sur autrui, etc. Les lois fondamentales immuables de la République offrent ainsi à chacun la possibilité de vivre, dans la fraternité, en ayant une totale liberté de croire ce qu’il veut, donc de pratiquer la religion qu’il veut, d’où la reconnaissance de la diversité des églises… et une complète égalité de droits, garantie par les devoirs de tous. Cependant, ces principes sont sans cesse menacés par des attaques de forces idéologiques, religieuses, ou sectaires, privatrices de liberté, qui prétendent organiser et maîtriser la société en fonction de leurs propres règles et s’interposent entre l’Etat et les citoyens. Les lois qui garantissent le respect des autres doivent donc être sans cesse rappelées. Il revient à l’Etat, élu par le peuple, d’en assurer la stabilité et le respect. Même si les citoyens informés, conscients de la nécessité de préserver leur système social, participent à cette vigilance. Les cultes sont libres, mais seulement jusqu’au moment où ils prétendent prévaloir sur le politique et sont prosélytes, en s’appuyant sur la terreur de la mort et des interventions d’un Dieu tout-puissant. Il est donc impératif que leurs interventions soient canalisées.

C’est la raison d’être de la laïcité, qui n’est, au fond, que le reflet des valeurs fondamentales de la République française : liberté, égalité et fraternité. Elle repose sur la liberté de conscience de tous et la non-discrimination pour raison de convictions, donc à la fois sur la liberté de choisir d’adhérer à toutes les religions, ou à aucune d’entre elles… et sur le respect de l’altérité.

La laïcité ne s’oppose pas aux religions. Au contraire, elle est le rempart bienveillant qui garantit le respect de la liberté religieuse, puisqu’elle affirme le droit de chacun de croire ce qu’il veut, tant qu’il ne l’impose pas aux autres. Il est primordial de ne pas confondre laïcité et athéïsme… Cette « liberté de croire ou de ne pas croire », au niveau des individus, est à l’origine de particularités de la laïcité qui s’est développée en France. Celles-ci peuvent parfois poser question, car la laïcité a des aspects paradoxaux. On ne peut pas les nier, au risque de souligner des failles qui pourraient être exploitées par des contestataires. Il existe ainsi au moins sept sources éventuelles d’incompréhension de la laïcité.

Tout d’abord, la séparation entre l’Etat et les religions, que défend la laïcité française, peut marginaliser le religieux, qui est responsable de lui-même. La loi française de 1905, qui distingue les Eglises et l’Etat, affirme : « La République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ». Cette division n’est pas le choix de pays tels que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, dans lesquels l’Etat soutien les églises, notamment chrétiennes, qui bénéficient d’un concordat.

Le clivage entre le religieux et l’Etat, peut alors être ressentie comme une exclusion de la religion de toute place dans ce qui est public. Le but était de faire en sorte que la fonction publique soit donc d’une totale neutralité et n’exerce aucune influence en faveur d’une religion ou de l’athéisme. Le souci de neutralité va jusqu’à prôner un évitement de toute évocation de ses convictions. Cela s’est traduit par l’interdiction, pour les fonctionnaires, d’afficher tout signe de leurs croyances religieuses… et a même entraîné, depuis 2004, l’interdiction des signes religieux dans les enceintes publiques, que certains peuvent contester.

Fondamentalement, le principe de la laïcité est qu’il incombe à l’Etat de veiller à ce que chacun ne soit pas discriminé en fonction de sa religion, ni de la couleur de sa peau ou de son origine sociale. Ce qui incite la République à ne faire aucun cas de la religion des individus, voire même à considérer qu’il lui faut éviter de parler des religions… Ce qui délimite la place des religions.

D’ailleurs, pour certains laïques, les croyances, religieuses ou non, sont à reléguer dans le privé. Le religieux n’est libre qu’à condition qu’il reste dans le sanctuaire des affaires et activités intimes. A la limite, la vieille problématique de la prééminence entre le spirituel et le temporel aboutit alors à une négation de la spiritualité… Cela fait que d’autres laïques estiment qu’au contraire, il importerait que l’Etat reconnaisse l’existence du religieux. Pour eux, la crispation et la défiance de la République à l’égard des questions spirituelles font obstacle au dialogue. Toutefois, d’autres considèrent qu’octroyer ainsi un statut d’exception à la croyance religieuse serait nier la laïcité, qui permet y compris de ne pas croire en Dieu.

D’autre part, il peut y avoir des tensions entre le respect de la liberté des croyances et la liberté d’expression. Dans le but que chacun soit libre de ses convictions, la laïcité veille à ne favoriser aucune religion. Elle ne s’autorise pas à critiquer les religions, ou à prôner l’athéisme. Et elle a le souci de prévenir les censures, notamment religieuses et a considéré qu’il incombait à l’Etat de veiller à ce que nul n’exerce de pression sur les autres, en faveur de ses propres croyances. Cependant, en même temps, la laïcité défend la liberté d’expression. Ce qui fait qu’elle admet que l’on critique les religions. On peut donc émettre ses opinions, susceptibles, parfois, d’heurter les autres. Mais la laïcité ne peut-elle qu’encourager le respect de l’autre et s’opposer au blasphème, qui peut sciemment blesser des croyants. Elle soutient donc la modération… et est défavorable à tout prosélytisme pour une religion, ou pour l’athéisme.

Par ailleurs, la volonté de protéger les individus des influences qui pourraient restreindre leurs libertés, a conduit la laïcité à considérer qu’il incombait à l’Etat d’assurer l’éducation, notamment civique, des citoyens. L’Etat laïque a, en particulier, la responsabilité d’enseigner aux enfants ce qui leur permettra de renforcer leur information, leur esprit critique et leur discernement… et de développer leurs capacités et leurs talents. C’est là, entre autres, la reconnaissance qu’il revient à l’Etat d’inciter et entraîner les hommes à l’application de ses lois. Ce qui peut entrer en concurrence avec les prescriptions éthiques des religions… Le rôle éducatif de l’Etat va même jusqu’à l’affirmation que l’école laïque a la charge de l’enseignement non religieux de la religion. Au risque de dissensions avec les communautés religieuses.

Enfin, la liberté d’expression que défend la laïcité fait qu’elle n’exclut pas la liberté de critiquer y compris les lois. Il en résulte que ses normes peuvent être contestées et que les pratiques peuvent être évolutives : ce fut le cas récemment, par exemple, concernant le mariage, le divorce, les menus différenciés dans les cantines, l’ensevelissement ou la crémation des défunts, etc. Ce qui peut aboutir à des antagonismes, qui seraient irréductibles, si l’on considère que c’est l’essence même des religions que de se placer au-dessus de tout. Ainsi, certains extrémistes catholiques, juifs, ou hindouistes et, selon des enquêtes récentes, près des trois quarts des jeunes musulmans affirment, non sans provocation, que les valeurs de leur religion prévalent sur celles de la République. Ce qui va à l’encontre du rôle de la communauté nationale, à qui il incombe d’édicter des lois pour préserver l’union du peuple, donc, en premier l’égalité des droits de tous. La laïcité accepte ainsi les différences, sauf si elles remettent en cause les lois de la République. Aucun ne peut se prévaloir de règles allant à l’encontre des lois… Les adeptes de toutes les communautés religieuses sont tenues de s’y conformer, quelles que soient leurs croyances. Même au cas où certains de leurs principes n’y seraient pas totalement conformes. En cas de divergence, la laïcité encourage le débat et la coopération… et considère que, sans accord, il convient de se référer aux grandes valeurs universalistes.