On nous dit parfois que l’Etat n’a pas de moyens de faire plus… D’autres fois, l’Etat lance des actions « quoi qu’il en coûte », en mobilisant des sommes qu’il affirmait, à juste titre, ne pas posséder. Les gens ne comprennent plus. La population se plonge alors dans les divertissements (séries T.V., spectacles, jeux…) pour penser à autre chose ! Comment comprendre, en effet, et comment s’en sortir… Quelles régulations cela supposerait-il de mettre en place ?
Dans l’économie « normale », les mécanismes sont connus :
La plupart des fonds qui circulent sont issus d’un versement de bénéfices ou de salaires, en contrepartie de ventes de productions ou de services. Les sommes ainsi distribuées servent ensuite à l’achat de biens ou de services… ou sont économisées et mises de côté…
Ceux qui s’endettent reçoivent, contre versement d’intérêts, un pouvoir d’achat pour aujourd’hui, en contrepartie d’un engagement de remboursement à terme, donc d’un prélèvement de pouvoir d’achat futur… Pour accorder les crédits, les banques commerciales doivent disposer de dépôts stables sur leurs livres, ou se refinancer auprès de tiers. Les banques centrales, qui sont censées assurer, en dernier ressort, la sécurité, donc la stabilité de l’économie, fixent les taux de référence, dans le but de prévenir l’inflation. Dans les pays développés, dont la croissance déclinait, elles ont abaissé les taux d’emprunt, pour soutenir l’économie. Les prêts qu’elles consentent sont même de plus en plus souvent à des taux d’intérêts négatifs, ceux à long terme étant même parfois plus faibles que ceux à court terme. Il en résulte un afflux d’argent qui nourrit l’augmentation de la masse monétaire en circulation…
En 2020, face à la crise économique engendrée par les arrêts d’activité induits par les confinements instaurés pour contenir la contamination au Covid-19, les Etats ont estimé devoir soutenir l’économie. Ils ont décidé d’allouer des aides, notamment de prendre en charge une indemnisation par l’Etat des chômages partiels des salariés sans activité, des reports de cotisations sociales et proposé d’assumer la garantie par l’Etat des prêts faits à des entreprises déjà souvent très endettées, afin d’éviter qu’une période d’arrêt les conduise à la faillite.
Mais les Etats n’avaient pas les moyens nécessaires pour soutenir ainsi leurs économies. Ils ne pouvaient compter immédiatement sur les investisseurs privés qui assurent habituellement la majeure partie du financement des Etats, souvent à des taux très faibles ou même négatifs. Ce qui reflète d’ailleurs qu’ils considèrent les Etats comme des emprunteurs fiables.
Les banques centrales ont alors considéré qu’il leur fallait consentir directement aux Etats, des crédits exceptionnels (cf. quantitative easing et, en Europe, programme d’achats de dettes publiques d’urgence pandémique (PEPP) de 1350 milliards d’euros). Cela revenait à créer de la monnaie à partir de rien, les fonds ainsi alloués ne provenant d’aucun emprunt… Il en résulte qu’aujourd’hui, en France, plus de la moitié des dépenses de l’Etat sont financées à crédit.
Mais les sommes ainsi distribuées par les Etats peuvent avoir deux types effets pervers :
– Dans le cas de la prise en charge du chômage partiel, cela revient à un paiement public des gens pour qu’ils ne travaillent pas. Ce « cadeau » remet en cause le mécanisme fondamental de l’économie (d’échange) et pourrait inciter la population à ne rien faire.
– Concernant les crédits aux entreprises garantis par l’Etat, certains emprunteurs ne vont pas être en mesure d’honorer leurs dettes. Celles-ci devront être prises en charge par l’Etat, ce qui déresponsabilisera les agents économiques et accroîtra le déficit et l’endettement de l’Etat.
C’est là le signe d’une socialisation de la crise, par nationalisation des pertes.
Bien des Etats se ainsi retrouvent surendettés et n’ont plus les moyens de rembourser les sommes dépensées pour lutter contre la crise liée au Covid-19. Que faire ?
Certains économistes rejettent tout effacement de ces dettes publiques, qui constituent un fardeau à la charge des générations à venir et préconisent de s’en délester au plus vite. Ils estiment qu’il est primordial, pour les Etats, dont la majeure partie de l’endettement se fait auprès d’investisseurs privés, que ceux-ci restent convaincus qu’ils seront remboursés, conservent une bonne opinion de la qualité de leur signature et continuent à participer aux émissions de leurs dettes. Le remboursement des dettes publiques devra donc être effectué. Mais quand, comment et par qui ?
Il ne faudrait pas répéter l’erreur commise après la crise des subprimes. La course au retour à l’équilibre budgétaire avait alors brisé la croissance.
On voit mal comment les Français échapperaient à un accroissement des prélèvements obligatoires. Mais il est difficile d’envisager une augmentation de la fiscalité, alors que la crise liée au Covid-19 y a entraîné un million de plus de pauvres, en France. D’ailleurs, les décideurs politiques écartent toute hausse des impositions, qui briderait la croissance, en effectuant une ponction sur l’emploi et les pouvoirs d’achat.
Bien sûr, on peut parier sur une relance de la croissance, les dépenses d’investissement étant alors susceptibles de créer un surplus de revenus pour l’Etat.
Néanmoins, il sera sans doute difficile d’éviter à une imposition des gagnants de la crise. Plus de la moitié de l’épargne faite à l’occasion du « Covid » est entre les mains des 20 % les plus aisés. On peut donc s’attendre à une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.
Cependant, tout cela sera certainement insuffisant sans une maîtrise des dépenses publiques, de façon à ce que le ratio d’endettement diminue, à terme.
Compte tenu des difficultés à retrouver un équilibre budgétaire, on peut donc s’attendre à un rééchelonnement des dettes des Etats auprès de la banque centrale. Selon quelles modalités ?
Y aurait-il d’autres solutions ? D’autres économistes, considèrent qu’on pourrait conserver indéfiniment la dette Covid dans les comptes des banques centrales. Même si transformer cette dette en dette perpétuelle serait une rente à vie pour ceux ayant prêté… et réduirait les possibilités des générations à venir, qui resteraient chargées de dettes… Certains sont même partisans d’annuler cette dette. Ce non remboursement est-il acceptable et supportable ?
Dans l’économie générale, le non remboursement de dettes existe :
– Les investisseurs qui ont pris une participation dans le capital ou les obligations d’une société qui fait faillite y sont contraints.
– Il est parfois consenti, à des pays pauvres, par des Etats aux économies développées, la Banque Mondiale, F.M.I., pour éviter la ruine de certains de leurs partenaires… ou clients.
– Le non remboursement à des personnes ou des sociétés incapables d’assumer leurs engagements est aussi admis, à leur corps défendant, par les créanciers (banques…), à la suite décisions prises par des commissions de la B.D.F., tribunaux de commerce…).
C’est supportable par les créanciers tant que cela ne pèse pas trop sur leurs comptes, compte tenu des gains qu’ils dégagent, par ailleurs, de leurs activités.
Mais, si le montant des créances annulées est trop élevé, c’est susceptible d’entraîner des enchaînements de faillites des prêteurs. C’est ce qui se passe lorsqu’une entreprise étant fermée, ses salariés perdent leurs emplois et leurs revenus et se retrouvent au chômage.
Un non-paiement des dettes des Etats auprès des banques centrales est défendue par certains économistes, même si les traités européens ne permettent pas le non remboursement des emprunts des Etats. Faut-il organiser un défaut sélectif visant la seule détenue par la B.C.E. ?
Il y aurait néanmoins au moins trois risques à annuler le remboursement, par les Etats, du capital qu’elles doivent aux banques centrales.
Le premier risque est, en Europe, que la B.C.E. n’apparaisse plus comme le garant des dettes nationales, ce qui fait qu’elles sont réputées sûres. Les agences de notation risqueraient de dégrader le pays. Les marchés financiers seraient méfiants. Les taux des refinancements s’accroîtraient alors, ce qui entraînerait une hausse de leur coût. Ce qui accroîtrait les déficits des Etats, donc leurs défauts de paiement ultérieurs.
Une seconde limite c’est le risque de reprise de l’inflation. Les distributions monétaires directes par les Etats reviennent à une attribution d’un pouvoir d’achat accru. Cela pourrait perturber l’équilibre entre l’offre et la demande. L’accroissement de celle-ci, au-delà de l’offre disponible entraînerait une hausse de la tarification des biens et services, qui susciterait en retour des revendications d’augmentation des revenus. Il en résulterait une dégradation de la valeur des capacités d’achat de la monnaie… et des sommes possédées par les épargnants. Ce qui provoquerait inévitablement une remontée des taux par la banque centrale. Pour se protéger contre ce risque, les pouvoirs publics peuvent faire des emprunts à très long terme (50 ans), qui sont aujourd’hui à des niveaux très bas de moins de 0,5 %. Ce qui est d’ailleurs le signe que ceux qui prêtent au Etats ne croient pas à une remontée rapide des taux. Il serait ainsi avantageux pour la France de s’endetter à long terme, plus qu’elle ne le fait… Cependant, pour l’instant, il ne semble pas y avoir lieu de s’attendre à une augmentation des prix. Les investisseurs continuent d’ailleurs à soutenir financièrement les Etats, y compris à des taux bas et à très long terme. C’est vraisemblablement lié au fait qu’une bonne partie des sommes distribuées par les Etats n’a pas servi à satisfaire des besoins de consommation. On observe plutôt que les sommes allouées ont abouti à des placements répondant à un sentiment insécurité, ou à des ambitions spéculatives. Il s’est constitué, durant le confinement, des centaines de milliards d’épargne des particuliers et de trésorerie forcée des entreprises. Ces sommes se retrouvent en bourse. Les sommets de la capitalisation du Nasdaq, le 2 septembre 2020, le montrent. Les liquidités injectées se sont en particulier investies sur les marchés des matières premières, de l’immobilier des bâtiments de centre-ville, des entreprises innovantes et marques célèbres, de la Tech (GAFA…) ou des plates-formes. Ce qui a même induit des introductions d’entreprises en bourse à des niveaux déconnectés de leurs performances économiques (cf. Airbnb à Wall street). C’est profitable aux gestionnaires de fonds qui interviennent sur les marchés financiers. Les sommes mis à disposition profitent ainsi à ceux qui étaient déjà avantagés par leurs capacités d’investissement. Les plus riches en bénéficient, dont la fortune s’accroit passivement (cf. les 651 milliardaires américains se seraient enrichis de 1000 milliards de dollars en 2020). Il en résulte un accroissement des inégalités de patrimoines, de rentes et d’héritages.
Troisièmement, le non remboursement des sommes distribuées par les banques centrales entraînerait une perte pour celles-ci. Comme les principaux actionnaires de la B.C.E. sont les banques centrales nationales des pays européens, cela appauvrirait les Etats, ne serait-ce que parce que les recettes qu’ils reçoivent de leurs banques centrales nationales diminueraient.
Il en résulte que le non remboursement ne saurait qu’être limité dans son montant et dans sa durée. Il peut être nécessaire de prévoir une mise à part de la dette Covid aux banques centrales, sous forme de « cantonnement ». Mais où, combien et pour combien de temps ?
Toutes ces observations montrent que, fondamentalement, le fossé se creuse entre un monde de la finance, qui manipule des chiffres gigantesques et une économie réelle, qui est sous perfusion. Alors que les entrepreneurs se battent pour sauver leurs entreprises, il n’y a jamais eu une telle abondance de liquidités en circulation, à la recherche de placements rémunérateurs.
On constate ainsi l’interdépendance entre les Etats, les banques centrales et les marchés financiers. Et on peut se demander qui la maîtrise, la contrôle et la sanctionne.
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