Avec la mondialisation, s’est instaurée une communauté de destin de tous les humains. Les évolutions écologiques démontrent bien cette interdépendance entre les nations. Nous sommes tous sur le même bateau en péril et nos intérêts sont étroitement liés.
Cependant, comme l’illustrent mes deux derniers livres, « Rencontrer les Autres » (RLA) et « Dépasser les antagonismes interculturels » (DAI), « la cohésion des sociétés… est minée par la multiplication des réactions individualistes et claniques » (DAI p. 240). Nous sommes de plus en plus exposés aux égoïsmes individuels. Même si certaines sociétés assurent une prise en compte des intérêts collectifs. Les pressions de groupes d’affinité de développent aussi. En nous disputant pour des broutilles et ne nous entendant pas, nous laissons s’échapper alors nos dernières chances. Il devient donc, aujourd’hui, nécessaire de juguler ou, du moins, de contrôler les hostilités mutuelles qui font éclater la société qui nous protège.
« La notion d’« individu » est apparue en Europe au début de la Renaissance, à la fin du quinzième siècle, en réaction contre les pouvoirs, notamment celui de l’Église » (DAI p. 156). L’individualisme a ensuite été promu par le modèle économique libéral, qui affirme que chacun est libre et souverain sur lui-même. Le libéralisme a pris le dessus « au dix-septième siècle… Des économistes ont cru alors trouver une bonne idée : en laissant s’exprimer l’égoïsme de chacun, on permettrait à la société de retrouver un équilibre grâce à la « main invisible » du marché… Au cœur de sa doctrine est l’idéal de souveraineté individuelle… le droit des individus… à prendre des initiatives… et la responsabilité personnelle… Son originalité est de reconnaître à tout être humain le droit de vivre comme il veut, tant que cela ne nuit pas à la liberté d’autrui » (DAI p. 154). Ce système s’est installé au Royaume Uni. « Les Anglais… s’estiment ainsi personnellement libres de faire ce qu’ils veulent, chacun étant responsable de soi » (RLA p. 131). C’est aussi le cas de « la culture américaine, qui fait l’apologie de l’ambition… et reconnait la concurrence, les rivalités et, donc, la compétition » (RLA p. 35). « Avec le libéralisme, le souci du bien commun est alors remplacé par la quête des droits individuels et de l’épanouissement personnel… Le libéralisme ne connaît que les individus… qui se prennent eux-mêmes comme finalité. Ce qui induit la centration sur sa consommation personnelle, l’aspiration de chacun à la satisfaction immédiate de ses propres intérêts (le « moi-je »), le narcissisme des citoyens et l’augmentation insatiable des attentes… On néglige les besoins collectifs et le souci du moyen et long terme s’estompe » (DAI p. 156).
En France, il existe une autre forme d’individualisme, qui a deux racines :
– « La culture des héritiers de la Révolution. La tyrannie féodale y fut renversée et ce fut le début de la démocratie, modèle qui indiqua, ensuite, le chemin de la liberté au reste du monde… C’est là la France des indociles, rétifs, revendicatifs permanents et rebelles, unis par leur passion du débat politique, qui râlent, se plaignent, protestent, grognent et pétitionnent à tous propos. Il n’est pas rare que, se défiant du pouvoir, ils s’opposent à l’autorité » (RLA p. 192).
– La culture paysanne et sa forme particulière relations aux autres, qui incite « à douter, n’accepter aucune subordination ou soumission, contester ou transgresser ce dont on ne comprend pas l’intérêt… On se débrouille seul, dans la mesure du possible, mais on est aussi solidaire, face aux difficultés, en respectant toujours ses engagements » (DAI p. 44).
Depuis, notamment à partir de 1968, apparait un hyper-individualisme, fondé sur une revendication de liberté sans entrave. Tout semble possible et permis Les gens « considèrent qu’ils n’ont que des « droits » … sans « devoirs » à respecter » … qu’il suffit… d’exiger « tout, tout de suite » (DAI p. 48). « On aboutit à une révolte des jeunes contre l’ordre institué, « un rejet de toute autorité… Ceux qui incarnent le pouvoir sont soupçonnés d’être des agents de domination… Toute répression est vécue comme une injustice » (DAI p. 47).
Au cours des années qui suivent, « dans une société de marché, les compétitions interpersonnelles s’exacerbent… Chacun défend ses intérêts particuliers… C’est l’apologie du « tout m’est dû » et du « moi d’abord » … Chacun cherche à profiter des services communs, donc du travail d’autrui, sans contribuer… ou s’impliquer dans leur réalisation » (DAI p. 241).
Toutefois, certaines sociétés réussissent à assurer une prise en compte du collectif.
En Allemagne, « on peut être surpris, dans les entreprises, par les relations fondées sur le consensus social et la cogestion. On consulte les opérateurs, on les écoute et on recueille leurs suggestions… Un dialogue « naturel » s’instaure. Le but est d’aboutir à des décisions collectives » (RLA p. 150). « Pour un bon fonctionnement de la société germanique, il faut que les rouages sociaux soient consensuels. L’individu… s’identifie à la collectivité. Il a l’obsession de la préservation de la cohésion et met l’accent sur l’importance de la coopération. Il est accoutumé… à un fonctionnement collégial et à la codétermination » (RLA p. 152).
En Chine, « l’interdépendance (le fait d’avoir besoin des autres) est valorisée, car c’est un signe d’appartenance au collectif… Quand une obligation est définie, pratiquement tout le monde s’y conforme… Des préceptes, que les Chinois prennent souvent très au sérieux, invitent ainsi à être bon et respectueux » (RLA p. 85). La majorité de la population a la volonté de se fondre dans la communauté… et le souci que l’entente ne soit jamais rompue. « Dans ce système de pensée, l’individu n’est pas grand-chose… Chacun n’existe que par rapport au milieu dans lequel il vit, à son réseau d’appartenance et à des liens de réciprocité » (RLA p. 84). Il est ainsi difficile, pour des Chinois, d’affirmer une position personnelle. Ils considèrent même couramment comme obscène de parler de soi !
Au Japon, la cohésion est ressentie comme indispensable, face aux dangers de catastrophes. « L’insularité et le destin historique commun, ont donné à la population le sentiment d’appartenir à une collectivité soudée… La nécessité de s’entraider… a induit un sentiment d’appartenance et un esprit communautaire » (RLA p. 96) « La sociabilité, les relations, l’écoute, la concertation et l’association sont donc très importants… D’où… l’esprit de groupe, qui est ce qui donne leur identité aux individus. Presque tous les Japonais se considèrent moins comme des individus, que comme des membres d’une entité sociale… Depuis des siècles, les Japonais vivent ainsi pour les autres plus que pour eux-mêmes. La personne n’est pas considérée comme ayant des droits, mais d’abord des devoirs » (RLA p. 96).
Cependant, actuellement, « on voit émerger… des groupes qui défendent des intérêts particuliers… et affirment que l’universalisme est dépassé » (DAI p. 241). Ils mettent en avant leur appartenance à une minorité, en fonction de leur origine, de leur ethnicité, de leur religion, de leur genre ou de leur orientation sexuelle. « Ces minorités estiment avoir le droit à l’affirmation de leur spécificité, revendiquent la reconnaissance de leurs sollicitations, exigent des droits particuliers et la satisfaction de leurs propres intérêts » (DAI p. 245). « Des militants de ces groupes ne peuvent souffrir aucune contradiction, font preuve d’une totale intolérance à qui n’adhère pas à leur vision… et n’écoutent plus ce que disent ceux qui ne font pas partie de leur groupe » (DAI p. 243) Leurs exigences « sont favorisées par l’accès à Internet… On y trouve l’expression d’un mépris de ceux qui ne pensent pas comme soi… Trois personnes sur quatre en viennent à considérer que leurs « colères » sont légitimes » (DAI p. 242). Alors, cette culture du clan, appelant à l’appropriation et fermée à l’autre… et ces attitudes partisanes entrainent « une dégradation des liens transversaux et la fragmentation et la dislocation de la société… qui se morcelle » (DAI p. 245). Il y a une rupture des solidarités, le peuple se divise et la collectivité éclate. « On a perdu les interdépendances de fait du monde paysan, aussi bien que les solidarités ouvrières caractéristiques des sociétés industrielles » (DAI p. 246). Le lien civique s’efface, ce qui disloque de la société, qui se déstructure et se désagrège.
Les personnes ne sont plus unies par la conscience d’un intérêt commun. On ne fait plus confiance aux autres, ni aux institutions, ni aux médias. Les coopérations entre les populations diminuent. Ce manque de solidarité nuit à l’efficacité collective. Il devient alors vital de lutter contre cette dictature des minorités et communautés.
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