J’ai vu, le 26 janvier, sur M6, le dernier film de Yann Arthus-Bertrand, « Legacy, notre héritage ». C’est un remarquable plaidoyer, qui invite l’humanité à se mobiliser pour lutter à la fois contre le réchauffement climatique et contre la destruction de la biodiversité. Il est pourtant décevant, pour moi, en reconnaissant que pas grand-chose n’a été fait, au cours des 50 dernières années… et en n’incitant guère les gens qu’à mieux consommer. Ne serait-il pas nécessaire d’analyser plutôt pourquoi rien ne change, malgré la multiplication des conférences internationales ? Mais l’examen des causes de cette situation montre que nous sommes complices de ce suicide collectif. Pour en sortir, nous devrons réaliser, ensemble, une évolution culturelle.

« Legacy, notre héritage » est un long monologue, qui peut agacer, mais est illustré de superbes images et développe une argumentation impressionnante. En conclusion, il nous invite à décarboner nos vies (réduire notre consommation d’énergies fossiles de 5 % par an). Mais il ne peut que constater que ce qui a été réalisé depuis le rapport de 1972 du Club de Rome sur « Les limites de la croissance », la création en 1988 du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC), le sommet de la terre de Rio de 1992, l’accord de Kyoto de 1997, qui décida de la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre… et l’accord de Paris de 2015, qui fixe un objectif d’augmentation de la température auquel ont souscrit tous les Etats, sauf la Russie, n’est à la hauteur, ni des ambitions qui ont été affichées, ni de l’urgente nécessité de remédier à notre destruction de la nature qui conditionne notre survie.

En effet, l’utilisation des énergies fossiles continue à entraîner une crise de notre environnement climatique. Si l’on inclut le gaz de schiste, on extrait et consomme toujours plus de pétrole (100 millions de barils par jour !). Le développement des énergies renouvelables ne fait que s’ajouter. La combustion des énergies fossiles, qui génère du CO2 n’a jamais diminué, provoque toujours un effet de serre, donc un réchauffement climatique, qui s’accélère… et nous sera fatal.

Nous avons aussi poursuivi la destruction de la biodiversité, provoquée, notamment, par l’utilisation des pesticides. Sur 2 millions d’espèces vivantes connues, nous en avons éliminé près de 70 % au cours des 50 dernières années. 75 % des insectes volants ont disparu, de même que 30 % des passereaux, en France. Cela se poursuit, puisque la moitié des espèces sauvages sont menacées d’extinction et qu’environ 1000 d’entre elles disparaissent encore tous les ans. Et cela n’empêche pas, y compris plusieurs pays d’Europe, notamment le Royaume-Uni, de continuer à produire et exporter des pesticides interdits chez eux !

Si tout continue ainsi comme avant, l’essentiel ne serait-il pas de se demander pourquoi ?

Pour moi, trois phénomènes expliquent nos difficultés de mobilisation pour l’écologie :

– Notre immobilisme est d’abord dû aux égoïsmes individuels. Chacun veut être libre de faire ce qu’il veut… et préfère ignorer la réalité évidente, qui menace la survie de tous les êtres vivants, y compris celle nos enfants. Ainsi, 40 % des citoyens du pays le plus polluant de la planète, les U.S.A., ne croient pas (ou ne veulent pas croire) au réchauffement climatique. Je n’estime donc pas qu’il faille, pour faire un progrès, parier, comme Yann Arthus-Bertrand, sur le fait que la plupart des gens soient guidés par leur amour des autres, de tous les autres, quels qu’ils soient. Une évolution culturelle qui incite à la fraternité, la solidarité et même la compassion, est indispensable, sans qu’il faille que quiconque renie pour cela, ni ses intérêts supérieurs, ni les spécificités de son identité. Engageons vite un dialogue entre nous, pour cela.

– Les deuxièmes causes de notre incapacité à instaurer des conditions de vie sur terre qui soient durables, ce sont les antagonismes entre les collectivités et Etats. Depuis plus de 40 ans, chaque nation tient des discours écologiques qui évoquent ses propres options… et, en même temps, freine l’adoption d’un accord sur la mise en œuvre des solutions qui s’imposent… ou ne respecte pas ses engagements. Les premiers qui devraient agir sont ceux qui bénéficient le plus du maintien de la situation actuelle, c’est-à-dire les 10 % de la population mondiale qui, dans les pays industrialisés, produisent 70 % des émissions de CO2. Mais les préoccupations à long terme sont mal prises en compte par des démocraties, soumises aux pressions des intérêts individualistes. Et il continue à y avoir d’absurdes compétitions entre les pays, alors que tous subissent, de façon totalement interdépendante, les pollutions et les accidents climatiques, que les frontières n’ont jamais arrêtées. Pour un progrès réel, il faudra bien que les peuples conviennent de définir des normes et d’instaurer des dispositifs de contrôle de leur respect et de sanction des déviations. Ce qui suppose qu’ils acceptent d’adopter des valeurs communes.

– Enfin, si nous n’avons guère progressé dans la lutte contre le réchauffement climatique et la diminution de la biodiversité, c’est dû à la pression d’une finance, qui domine notre économie. Ainsi, les banques sont largement dépendantes de la croissance, elle-même encore fondée sur les énergies fossiles, que les investisseurs continuent à financer massivement. L’agriculture industrielle, qui utilise le plus les pesticides et absorbe 70 % de l’eau douce mondiale, dont un tiers pour nourrir le bétail, que consomment ceux qui mangent de la viande, épuise la terre. En même temps, la pêche intensive vide les mers, de plus en plus empoisonnées par les déchets plastiques. Mais l’une et l’autre n’enrichissent que très peu de gens. Nous subissons le diktat des 1 % des hommes qui possèdent aujourd’hui autant que les 99 % restant ! Il importe que nous réussissions à renverser cette situation, dans laquelle notre fonctionnement est dominé par les intérêts des gestionnaires de fonds… et instaurer un nouveau type de finance, qui soit au service de la planète, donc des hommes. Mais c’est un projet complexe, qui suppose un accord entre les peuples, qui nécessite, auparavant, que ceux-ci conviennent de certains principes.

Le changement de ces trois causes de nos dérives mortelles actuelles dépend donc de la réalisation d’une mutation culturelle. Actuellement, nous avons la capacité de changer. Si peu de chose évolue, c’est que nous n’en avons pas réellement la volonté. Si nous voulons sauver la vie sur notre planète, il va nous falloir arriver à un socle de valeurs partagées.

Nous devons nous rappeler de notre histoire. Etant des homos sapiens, nos ancêtres ont dû compenser leurs faiblesses naturelles. Ils l’ont fait en développant leur perspicacité (observation, déduction et compréhension, invention d’instruments, construction de stratégies…) et en s’appuyant sur leur aptitude à s’intégrer dans une communauté d’alter ego, s’entraider, coopérer et partager. Il leur a fallu aussi être capable de prendre des risques. Tout ceci a accru leur capacité d’adaptation et ils ont pu s’installer sous tous les climats, dans le monde entier. Ce sont ces aptitudes qui leur ont permis de maîtriser leur environnement naturel.

Mais ils ont fini par tout récupérer à leur bénéfice, conquérir la terre et éliminer tout ce (ou ceux) qui faisai(en)t obstacles à leurs envies…

Ce qui leur a donné l’habitude de chercher à tout s’approprier, à avoir, posséder et amasser toujours plus. C’est cette avidité qui entraîne, aujourd’hui, le genre humain à continuer sa course en avant suicidaire, aveugle, incontrôlée… et qui s’emballe.

Il est vital que nous en prenions conscience et réhabilitions les valeurs qui ont fait la réussite des homos sapiens, notamment l’intelligence et la coopération et le partage.