J’ai publié récemment trois livres qui montrent la diversité des situations des femmes, selon les lieux et les époques. Cela met en évidence l’importance que les luttes pour leur liberté, leur égalité et leur sécurité s’y adaptent.

« Contes et récits imaginaires de Bretagne intérieure », reprend une vingtaine d’histoires que l’on m’a raconté lorsque j’étais enfant, qui reflètent la vie et les croyances des paysans pauvres du centre de la Bretagne, dont je suis originaire, au début du vingtième siècle. Elles soulignent notamment la place qu’y avaient des femmes. J’ai observé que les femmes y avaient simultanément une charge lourde, qu’elles assumaient avec dévouement, car, culturellement, c’aurait été une honte, pour elles, d’être paresseuses… et une autonomie et un pouvoir réels. La plupart du temps, elles n’étaient pas soumises, mais autonomes. Elles avaient l’œil à tout et le droit à la parole et commandaient toute la maisonnée, souvent de façon autoritaire. Elles tenaient les comptes, détenaient les économies de la famille et décidaient de ce qu’on dépensait. Les hommes, sans doute influencés par la domination de leurs propres mères, acceptaient généralement de leur abandonner le pouvoir. Tout ceci est sans doute l’héritage de la civilisation celtique, où la femme pouvait être guerrière, reine et prêtresse. Ici, les femmes avaient surtout besoin d’aides ménagères et d’un partage équilibré des responsabilités, avec leurs conjoints.

« Rencontrer les Autres… cultures autour du monde » relate de multiples anecdotes révélatrices des usages et des convictions surprenants que j’ai observées, ma vie durant, en vivant et travaillant dans une trentaine de pays d’Europe, d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Ce livre met ainsi en évidence les différences, plus géographiques qu’historiques, des rôles des femmes. Ainsi, en Amérique du nord, hommes et femmes sont très libres, mais ces dernières ont, en général, à assumer la charge de la famille et à suivre la carrière de leur époux. Tandis que, dans les communautés arabo-musulmanes, il y a, souvent, une infériorité de femmes : statut de subordination et exigence de soumission, assujettissement au port du voile, restriction de l’éducation, obligation de mariage précoce parfois à des hommes que les filles n’ont jamais vus, maintien des femmes à l’écart de la vie sociale, économique et politique, partage inégalitaire de la propriété des biens entre les femmes et leurs frères, en cas de succession… Les opposantes peuvent être la cible d’insultes et de menaces, ou même subir des coups, ou des harcèlements.

Cette affirmation de la prééminence masculine proviendrait du rapport au désert, milieu hostile, où survivre face à la précarité et la rareté, suppose une violence qui peut aller jusqu’à la férocité… La situation est très différente au Japon, où « les relations humaines sont fondées sur le clan familial… à la fois à l’autorité patriarcale du chef de famille et à la valorisation de la gentillesse…, sous l’influence de l’épouse, mère et ménagère. Les médias véhiculent d’ailleurs toujours l’idéal de la femme d’intérieur, cantonnée dans des tâches domestiques (cuisiner et préparer les repas, coudre…) … et servant les hommes. Nombre de Japonaises s’imposent ainsi de préparer les repas sans recourir aux plats de traiteurs ou aides culinaires qui seraient, pour elles, une « négligence ». Cela fait qu’une proportion importante des femmes cesse toute activité professionnelle à la naissance du premier enfant… Mais, en même temps, au Japon, la coutume est que le mari donne l’argent du ménage à sa femme, qui lui rend son argent de poche. C’est elle qui épargne… D’où une dépendance de tous à son égard, y compris ses fils » (pages 96 et 97). Ailleurs, les situations sont extrêmement diversifiées. En Afrique, les positions des femmes varient selon que le mariage est ou non matrilocal (dans la famille de la femme) et que les filiations (descendance, titres et prestiges) sont ou pas matrilinéaires (se transmettant suivant le lignage féminin) … En Inde, Dieu peut être femme puisque le mâle incarne la matière, tandis que tous les êtres vivants naissent d’une énergie féminine, appelée Shakti. Ainsi, Sarasvati représente la connaissance, les sciences, l’érudition, les arts et la musique, Lakshmi est celle qui apporte la chance, la fortune, la fertilité, l’abondance, la prospérité, la richesse, Parvati incarne la beauté et Durga est une figuration de la lutte contre les démons et de la mort. La place des femmes peut donc être socialement dominante et des femmes éminentes peuvent accéder aux plus hautes fonctions, dans la vie politique (cf. Indira Gandhi). Mais le statut des femmes est rattaché à celui des hommes (père ou mari). Si elles se retrouvent veuves, elles n’ont plus aucune reconnaissance sociale. Ainsi, « souvent, les filles sont moins scolarisées que les garçons. Leur infériorité est aussi culturellement liée aux mariages, souvent « arrangés » entre les familles, qui impliquent de lourdes charges financières (poids des dots…) et un déséquilibre des rôles avec des garçons, dans la prise en charge des parents… L’usage veut que la jeune mariée suive son époux dans sa famille. Elle quitte la sienne et va habiter sous le toit des parents de son conjoint. Elle doit plaire à sa belle-famille et tombe sous la coupe de sa belle-mère » (page 78). D’ailleurs, il est fréquent que des femmes assument les tâches les plus astreignantes de la construction, tandis que des hommes prennent en charge la lessive ou le repassage… En Europe, selon les pays, le statut des mères varie beaucoup, de même que la permissivité sexuelle, la composition des foyers, la fréquence des naissances hors mariage et des divorces… et les activités professionnelles des femmes. En France, la place des femmes varie selon les milieux, car c’est le pays de la cohabitation entre des cultures antinomiques de provinces aux origines différentes, d’une opposition, depuis la Révolution, entre républicains et élite, héritière de l’ancien régime, de l’accueil d’immigrés provenant de multiples pays et continents, qui constituent une part importante de la population. Globalement, dans ce pays où les racines rurales ont été longtemps déterminantes, les femmes sont souvent actives. Elles assument en moyenne les deux tiers des tâches ménagères et les trois quarts de l’éducation, de la santé et de la sécurité de leurs enfants… et seraient, cependant, décontractées, féminines, sensibles à la mode et élégantes et gracieuses. Ce qui aurait entraîné le développement du chic (lingerie, dentelle, haute couture, parfums, bijoux…) et le goût prononcé pour la langue et le verbal.

Enfin, « Dépasser les antagonismes interculturels Un défi vital pour le monde » repart d’abord de cette constatation que les façons de penser et de se comporter opposent parfois les peuples. Ce texte souligne ainsi les particularités couramment enseignées aux garçons et aux filles, dans « les sociétés patriarcales qui s’emploient à séparer les enfants selon leur genre… En conformité avec ce modèle, les garçons ont à… affirmer leur virilité et abolir leur empathie. Ils… enfouissent leurs émotions… et doivent s’affirmer supérieurs… L’émotion est réputée féminine… Les filles tendent à devenir sensibles… et sous le regard critique des autres. Elles en deviennent à la fois soucieuses de l’impression qu’on se fait d’elles, préoccupées de leur apparence, un peu exhibitionnistes » (page 14). « Cette distinction a principalement deux effets… Elle engendre une coupure entre les sexes… Elle entraîne aussi une incapacité des uns et des autres à réfléchir correctement à leurs sentiments. Les garçons la compensent par l’irritation, la colère, la rage et la violence, au moindre doute concernant leur… invulnérabilité, ou s’ils se sentent agressés dans leur masculinité… Tandis que la plupart des filles s’enferment dans leur silence » (page 15) et deviennent passives, comme en témoigne la fréquence à laquelle elles se taisent ou disent « je ne sais pas ». « Ainsi, dans les sociétés dominées par les hommes, on constate bien des injustices, au détriment des femmes. Elles y sont dévalorisées, assujetties à des astreintes et exploitées, confinées à des emplois domestiques, ont… des restrictions de leurs droits et libertés politiques… souvent des obligations vestimentaires et de moindres possibilités d’éducation que les garçons. Elles ont l’interdiction de disposer de leurs propres personnes et de leurs corps et subissent souvent des violences masculines (jusqu’aux atteintes féminicides) … Pourtant, l’expérience montre que, quand elles en ont la possibilité, les filles lisent plus et réussissent mieux dans les études (ainsi, en France, 84 % des filles ont le baccalauréat, alors que c’est le cas de seulement 74 % des garçons) » (page 15). Inversement, dans les sociétés matriarcales, « à l’image de la mère qui doit prendre soin des enfants, les gens sont culturellement attentifs aux autres… et se sentent concernés par ce qui leur arrive. Se développent alors des valeurs qui influencent le comportement de chacun » (page 15) : la modération dans l’exploitation de la nature, le partage des tâches, la bonne entente mutuelle, l’entraide, les décisions fondées sur le consensus, le respect des morts, qui font partie de la vie… et la paix. « Dans ces sociétés, on constate peu d’enjeux de prestige ou de renommée, peu de compétition, d’affrontements agressifs, ou de violence… Tout est fait pour l’évitement des querelles, des disputes, des armements et des conflits » (page 16). L’ouvrage met aussi en évidence, ensuite, la nécessité que les cultures s’adaptent aux conditions de vie des humains. Elles évoluent donc, quand le contexte se transforme, comme l’ont montré les modifications des rôles des femmes dans les sociétés paysanne, industrielle et individualiste et libertaire, à partir des années 1960, dans les pays développés. Ce qui conduit à se demander ce qu’il pourrait en être demain, sachant que les nations font actuellement toutes face, à des défis écologiques, économiques et sociaux communs, qui menacent leur survie. Les surmonter suppose sans doute d’unir ses efforts, donc d’arriver à s’entendre et, pour cela, de dépasser les divergences culturelles. Le développement de la culture féminine du « care » n’en est-il pas le signe ?