Il y a 150 ans, les premières puissances mondiales étaient le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France… Au vingtième siècle, profitant des guerres mondiales, les Etats-Unis les ont supplantées… et l’Orient est revenu au premier plan. De 1945 à 1989, le monde a été caractérisé par la guerre froide entre la démocratie libérale des U.S.A. et le communisme soviétique de l’URSS. Depuis, le libéralisme et la mondialisation des économies, sont devenus déterminants. La facilitation technique des communications et transmissions électroniques font que les échanges se poursuivront, dans la plupart des métiers, Tous les pays resteront étroitement connectés et interdépendants. Quelles menaces faudra-t-il, alors, prévenir ?
Avec le développement des pays émergents d’Extrême Orient, la part de marché des pays avancés d’Amérique du Nord et d’Europe, dans la production industrielle mondiale, diminue. Ce sont d’ailleurs tous les pays développés qui reculent relativement, même en Asie, puisque les experts prévoient que le Japon passera du 4ième au 8ième rang des économies terrestres, la Corée du Sud du 13ième au 18ième rang et l’Australie du 19ième au 28ième rang.
Nous sommes donc entrés dans la domination du monde par les pays émergents d’Asie. Non seulement leur progression démographique les place au premier plan, mais ils représentent déjà plus de 50 % de la production industrielle mondiale. La Chine est en train de devenir la première économie mondiale, devant l’Inde. La Chine et l’Inde devraient atteindre, en 2050, 35% du PIB mondial, soit 10 points de plus qu’en 2016. L’Indonésie, devrait, alors, être la quatrième économie mondiale. Le Vietnam, l’Inde et le Bangladesh pourraient connaître la croissance la plus rapide, sur la période 2016-2050. Le Pakistan, les Philippines, la Malaisie et le Vietnam devraient ainsi se retrouver parmi les 20 premières économies mondiales
La Chine, qui a connu une croissance économique fondée sur une main d’œuvre abondante à bas coût et sur des emprunts de savoir-faire à l’étranger et des subventions aux entreprises d’Etat, a effectué une modernisation rapide et est devenue un gigantesque empire. Son économie est prospère et son dynamisme entrepreneurial et ses innovations technologiques multiplient ses succès. Elle est dirigée par un régime autoritaire, qui ne cache pas son objectif de réaliser le rêve de rétablir la gloire de la Chine, en restaurant les frontières de l’empire Qing. Elle aspire à devenir le pays de la terre le plus riche et le plus puissant économiquement, technologiquement et militairement. Cette volonté de domination, y compris idéologique, se traduit dans un impérialisme conquérant, au moins à l’échelle régionale, avec des pressions violentes sur certains citoyens (cf. envahissement du Tibet, répression des Ouïgours, fin de la formule « un pays, deux systèmes » à Hong Kong…) et des ambitions territoriales manifestes (notamment récupérer Taïwan, avec qui Xi Jinping, disait, en 2019, que « la réunification se fera inéluctablement », quitte à devoir « utiliser sous les moyens, y compris la force »). Au niveau planétaire, cette ambition se traduit par le projet des « nouvelles routes de la soie », qui vise à donner à la Chine un accès à tous les marchés. Pour cela, la Chine peut traditionnellement compter sur la volonté collective de son peuple de soutenir le commun. En même temps, les libertés individuelles sont limitées par des pouvoirs publics puissants, qui font tout pour neutraliser toute velléité d’indépendance, utilisant la high-tech pour surveiller la population et allant jusqu’à employer le travail forcé. Cependant, la Chine a des fragilités économiques, politiques et démographiques. Elle contrôlait l’exportation des « terres rares » nécessaires à la production des technologies modernes, mais elle est de plus en plus confrontée à des rivaux. Elle a à résoudre d’importants défis environnementaux. Surtout, elle connaît une chute de sa natalité, provoquée par une baisse du nombre des naissances, malgré le rétablissement, depuis 2015, de la possibilité d’avoir plusieurs enfants. Il en résulte une explosion du nombre des retraités et des pénuries de main d’œuvre. La Chine sait que, pour soutenir sa croissance, elle devra augmenter les possibilités de consommation de sa population. Elle fera en sorte de rester, la « manufacture du monde », en sous-traitant de plus en plus aux pays du Sud-Est asiatique qui décollent économiquement. Elle sait aussi qu’il lui faudra tenir compte des réactions des jeunes générations, qui, connectées aux réseaux sociaux, aspirent à une certaine démocratisation.
Parallèlement, la fédération de Russie fait tout pour être toujours reconnue comme un acteur international majeur. Elle a effectivement des atouts indéniables. Ainsi, son territoire est immense, ce qui est un atout pour l’exploitation des ressources naturelles et énergétiques. Mais elle a aussi des faiblesses. Son économie reste très dépendante des hydrocarbures, ce qui lui confère une force par rapport à l’Union Européenne, dont 30 % du brut et 40 % du gaz naturel proviennent de Russie. Mais ses exportations risquent de ne pas être durables à long terme, compte tenu du développement des énergies renouvelables… D’ailleurs, la Russie n’a qu’une part modeste dans l’économie mondiale et son PIB n’a cru que de 1 % en moyenne, entre 2012 et 2019 ! Enfin, son handicap déterminant est peut-être que sa population est très limitée et décroissante… Dans ce contexte, menacé d’instabilité, le gouvernement, désireux de réaffirmer la puissance de la Russie et obsédé par son accès à la mer (cf. annexion de la Crimée et appui au gouvernement autocratique de Syrie), entretient ses technologies militaires avancées, serait prête à des démonstrations de force « asymétriques » pour faire pression sur les pays environnants… et s’avère capable d’utiliser tous les moyens pour limiter toute contestation journalistique ou politique : lois restrictives, répressions avec arrestations des personnalités critiques, censure et bannissement de plusieurs médias, voire assassinats d’opposants… Toutefois, compte-tenu de sa faiblesse économique, la Russie développe ses attaques à l’étranger par les technologies, en s’appuyant sur des hackers, pour s’approprier des données, endommager ou bloquer des dispositifs informatiques, ou diffuser des désinformations et manipuler des élections, afin d’affaiblir, effrayer ou diviser les démocraties libérales.
On assiste aujourd’hui à l’instauration de coopérations entre Chine et Russie, dans les domaines de l’économie, des technologies de pointe, de la défense et la diplomatie. Ces deux pays aspirent à modifier le statu quo international qu’elles jugent contraire à leurs intérêts et visent à « reformater » l’ordre mondial, avec l’adoption de nouveaux instruments de gouvernance. C’est la renaissance d’un monde multipolaire dans lequel s’affrontent des pôles antagonistes.
On ne peut ainsi que constater la montée de régimes autocratiques, anti-occidentaux, nationalistes, impérialistes et répressifs, hostiles aux valeurs telles que la liberté, les droits de l’homme, ou l’Etat de droit et revendiquant une légitimité universelle de leurs idéologies et morales, opposées à celles des démocraties. Cela ne les empêche pas d’avoir adopté le modèle économique du libéralisme, dont la réussite est fondée sur le dynamisme qu’induit la place faite aux intérêts personnels, y compris dans des pays aux politiques inspirés du communisme.
On peut ainsi s’attendre à ce que l’antagonisme sino-américain soit durable et structure la prochaine décennie. La force relative de la superpuissance américaine semble s’affaiblir, relativement. Cependant les Etats-Unis conservent trois atouts déterminants :
Tout d’abord, les U.S.A. ont une économie florissante fondée sur le libéralisme, la privatisation, l’incitation à la consommation et le commerce mondialisé, qu’il lui faut compenser par une politique étrangère qui met en avant les intérêts de sa classe moyenne laborieuse. Tout ceci induit un déficit structurel du commerce extérieur américain, qui ne tient que parce que le dollar est la principale monnaie de financement des échanges internationaux. Ainsi, quoi qu’ils affirment, la promotion des droits de l’homme et de la démocratie n’est pas toujours le premier intérêt des Américains. D’ailleurs son Histoire est celle d’une nation d’immigrants qui a façonné son caractère violent et belliqueux, qui peut être à l’origine de relations conflictuelles.
Par ailleurs, les Etats-Unis ont une expertise technologique de premier plan : la plupart des concepteurs de puces électroniques sont installés aux Etats-Unis. Les U.S.A. sont ainsi engagés dans une course à l’innovation dans les technologies de pointe.
Enfin, le budget militaire colossal des U.S.A. lui confère une puissance déterminante, même si elle ne représente plus que 3,4 fois celle de la Chine. Mais est-elle toujours efficace ?
Les U.S.A. défendent ainsi avant tout leurs propres intérêts à court terme, notamment ceux de leurs propres multinationales, par des accords commerciaux de libre-échange et abusent, pour cela, de leur législation extraterritoriale… Mais, pour peser dans les échanges mondiaux, les Etats-Unis ont besoin d’un réseau de pays partenaires, tels que ceux de l’Otan (Canada, Royaume Uni, U.E.), le Japon, l’Inde et l’Australie, mais aussi les pays non alignés d’Asie du Sud-Est (Taïwan, Corée du Sud, Philippines…), du Moyen Orient (Israël, Egypte, Jordanie…) et d’Afrique (Afrique du Sud). Mais cela suppose la conciliation de ses intérêts avec ceux des autres, qui sont souvent multiples… et parfois contradictoires. Les démocraties sont ainsi divisées par des divergences (par exemple fiscales), qui entament leur confiance mutuelle. Elles ont même une faiblesse interne, du fait des divisions qui les caractérisent, puisque la consommation, qui y a une place centrale, incite les citoyens à se préoccuper seulement de leurs intérêts personnels à court terme et se soucier peu des équilibres mondiaux. Or tout le monde a le droit d’y défendre ses opinions et les oppositions sont attisées par les réseaux sociaux.
Quelle est, alors la perspective de l’Europe. Sa place relative recule. Elle ne domine plus le monde et n’écrit plus l’Histoire, comme pendant plusieurs siècles. Il faut dire que les Européens ont été si fiers de leurs idées qu’ils ne les ont pas protégées et ont laissé leurs fleurons technologiques et économiques partir à l’étranger… L’Europe supporte aussi une immigration islamique, qui fait que 10 à 20 % de sa population est de confession musulmane, ce qui crée des tensions et éveille des phobies de l’islam. On assiste alors à une prolifération des nationalismes et des tentations des repli souverainistes et protectionnistes. Les mésententes entre les pays qui composent l’Europe décrédibilisent alors sa diplomatie. Ce sont les décisions de ses rivaux et adversaires qui décident du futur de l’Europe. Pourtant celle-ci reste puissante par son marché… et a, par son économie et sa culture, un rôle à jouer, du moins si elle consolide ses coopérations internes et son union et fait un effort suffisant pour financer ses innovations…
L’avenir du monde s’écrit donc principalement en Asie, mais aussi dans certains pays d’Afrique et du Moyen-Orient puisqu’on peut prévoir que la Turquie passe, de 2016 à 2050, de la 14ième à la 11ième place du classement mondial des économies, l’Egypte de la 21ième à la 15ième place et le Nigeria de la 22ième à la 14ième place. Le continent africain, aux ressources gigantesques, connaitra alors une explosion démographique. Il faudra certainement compter avec l’énorme potentiel du marché des consommateurs africains, qui se développe rapidement. Cependant, la jeunesse pourrait s’y laisser convaincre par les séditions religieuses armées, génératrices d’insécurités, instabilités politico-juridiques, conflits entre pays et guerres civiles. Le renforcement du contrôle des Etats dépendra alors des compétences et de la motivation, donc de la rétribution, de la discipline et de la loyauté des forces armées régulières. L’Afrique aura besoin d’assistances. Au cours des dernières années, on y constate une implantation de la Chine, qui profite des retraits des pays développés pour avancer ses pions (financement d’infrastructures, contre obtention de ressources naturelles…). Dans une moindre mesure, l’Inde, la Russie, les Emirats Arabes Unis et la Turquie font de même. L’Afrique sera donc, de plus en plus, une zone de lutte d’influence entre ces pays, l’Europe et les U.S.A..
Au Proche- et Moyen-Orient, il persistera des divergences durables entre Arabie Saoudite, Iran, pays du Golfe, Turquie, Egypte, Algérie, Tunisie et Israël. Il continuera à y avoir un antagonisme entre sunnites et chiites, des tensions incessantes et une dislocation des Etats, sauf sans doute en Israël, en Iran, en Turquie et au Maroc, qui poursuivront des visées impérialistes. Par l’accroissement de leur population, les pays arabo-musulmans exerceront une pression démographique, notamment sur Israël. Mais ils peuvent aussi subir de rapides dégradations de leurs situations économiques, comme celle que connaît actuellement la Turquie : captation des profits de secteurs entiers par des proches du pouvoir, inflation et effondrement de la monnaie nationale, accroissement du poids des importations, hausse de la dette, fuite des investissements étrangers, chute du pouvoir d’achat de la population et du PIB par habitant. Ils dépendront donc de l’étranger. Ainsi, faut-il tenir compte des U.S.A., qui ont toujours défendu Israël, notamment au Conseil de sécurité de l’O.N.U., pour l’application des sanctions votées. Depuis 1948, l’Etat Hébreu a ainsi reçu des Etats-Unis 146 milliards de dollars d’aide, dont près d’un tiers pour sa défense, ce qui fait d’Israël le plus grand bénéficiaire d’une aide militaire américaine. Parallèlement, la Chine négocie des contrats d’assistance et de coopération à la fois avec l’Arabie Saoudite et avec l’Iran. Au point que 73 % des jeunes du monde arabe citent la Chine comme étant un allié et qu’aucun pays musulman ne critique sa répression des Ouïgours… Le développement économique des pays du Moyen-Orient pourrait alors augurer de changements dans les sociétés musulmanes. Les séculiers et athées y sont, comme partout, de plus en plus nombreux. Mais, simultanément, le renforcement de l’islamisme radical continuera à nourrir le prosélytisme des extrémistes politique, qui exercent une pression terroriste allant jusqu’au génocide des autres minorités ethniques ou religieuses et oeuvrent pour la désagrégation des autres cultures et la déstabilisation des sociétés des pays avancés, y compris la Chine et la Russie. Ils revendiquent ainsi clairement une guerre civilisationnelle, à laquelle la jeunesse des nations arabo-musulmanes pourrait être sensible.
Au-delà de ces tensions locales, on peut s’attendre, avec l’expansion démographique mondiale, à des tensions et conflits pour le contrôle de l’accès aux ressources naturelles… Les rapports de force resteront tendus. Le renforcement des armements, au point que les budgets qui y sont consacrés sont douze fois plus élevés que ceux consacrés à l’aide internationale, menace la paix.
Mais on peut probablement compter que les dirigeants des grandes puissances continueront à comprendre que le commerce rapporte plus que la guerre. Il est primordial qu’ils restent conscients qu’il est dans leur intérêt de préserver les échanges et coopérations entre les nations.
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