Il y a toujours eu des illuminés annonçant la réalisation prochaine de leurs propres fantasmes et des prophètes de malheur prédisant des catastrophes imminentes, y compris la fin du monde. Ainsi, après Spengler et Toynbee, certains, fascinés par la décadence de la civilisation, annoncèrent sa fin. Tandis que d’autres rêvent de la réalisation d’inventions qui leur sont chères, ou anticipent des transformations imaginaires, sans se soucier de leur vraisemblance.

Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est qu’avec les réseaux sociaux, n’importe qui peut prétendre à la véracité de ses opinions et annoncer la réalisation de ce qu’il imagine. La multiplication des présages des futurologues d’occasion augmente alors la confusion. Nous ne percevons plus ce que pourrait être le futur et doutons de l’avenir.

On peut pourtant identifier des tendances lourdes, dont on n’évitera sans doute pas la poursuite… qui permettent d’extrapoler qui nous attend, ainsi que des nécessités que nous devrons arriver à surmonter, pour survivre. Il est ainsi possible de prévoir certaines évolutions.

1- L’amélioration de nos conditions physiques de vie, qui répond à un souci général permanent de sécurité et de santé, dans une société de plus en plus hypocondriaque, se poursuivra. On peut s’attendre à un renforcement de la préoccupation de mettre fin aux maladies et handicaps et, en particulier, de protéger les enfants… Il y aura même certainement de plus en plus de gens obsédés de leur survie et de la recherche du rajeunissement. Ce qui induira des tentatives d’inversion de l’horloge biologique des cellules, sans qu’on soit, pour autant, près de triompher de la mort. Des progrès sanitaires seront rendus possibles par des innovations scientifiques et technologiques et un bouleversement des applications pratiques dans le domaine de la santé. Notamment, une utilisation croissante des biotechnologies :

– fertilisation in vitro, qui concernait déjà, près de 5 millions des enfants nés en 2015 ;

– édition des gènes de l’ADN ;

– mutations par modification génétique d’embryons de plantes et d’animaux (possible depuis l’invention du ciseau génétique CRISPR-Cas9, en 2012), jusqu’au clonage…

– expériences d’eugénisme social, consistant à sélectionner les profils des êtres vivants.

Il faut aussi prévoir l’accroissement de la prise en charge robotisée des soins, à distance.

Néanmoins, certaines affections telles que le paludisme, les cancers et le sida ne seront sans doute toujours pas maîtrisées… et l’apparition d’épidémies nouvelles est très probable du fait du lien entre la propagation des virus et la déforestation.

On aboutira cependant à une prolongation de l’espérance de vie des humains, donc un vieillissement de la population et un poids croissant des soins aux personnes âgées et de la gériatrie. On doit envisager, en conséquence, l’augmentation du poids de dépenses de « sécurité sociale » et, sans doute, une diminution des prestations sociales, entrainant un accroissement des contributions financières à l’assurance santé et un développement du tourisme médical.

2- Le partage des tâches, entre humains et machines, s’étendra :

– accélération de l’automation et de la robotique, transformant le travail… et augmentation de l’autonomie des automates, avec le développement des applications d’Intelligence Artificielle, grâce au deep learning (cf. réponses apportées, dans les centres d’appel, par des androïdes) ;

– commandes vocales et habitations qui s’entretiennent sans intervention humaine (domotique) ;

– internet des objets, grâce aux progrès de miniaturisations (nanotechnologies) et des capteurs biométriques connectés (wearables), jusqu’à, par exemple, des vêtements ayant des fonctions nouvelles, notamment médicales, avec des microcapsules incorporées aux fibres textiles.

Par contre, il est très improbable que l’on soit capable de mettre au point, à une échéance prévisible, des machines réellement intelligentes, qui éprouvent des sensations, soient sensibles, aient des émotions, des désirs, des intentions et des conceptions éthiques et soient aptes à faire des découvertes. Les outils d’Intelligence Artificielle ne visent guère qu’à diminuer les efforts des hommes et perfectionner leur confort… et ne changent rien à leurs existences. Ils ne font que simuler une compréhension. Ils n’ont aucune « idée » de ce que veut dire ce qu’ils font. Ils ne sont pas, seuls, en mesure d’être critiques, ni créatifs. On peut douter qu’ils puissent, un jour, s’améliorer eux-mêmes. Ce sont les hommes qui, par anthropomorphisme, leur prêtent des capacités qu’ils n’ont pas et donnent du sens à ce qu’ils produisent.

De même, les possibilités d’augmentation de nos capacités dont rêve le transhumanisme sont très incertaines. Brancher les hommes sur des corps synthétiques artificiels, afin de développer leurs performances et faire qu’ils ne connaissent plus, ni la maladie, ni la décrépitude, ni la mort, les transforme en robots. Il y aura certainement une multiplication des mains bioniques et autres prothèses, mais, aussi, bien des limites aux améliorations neuronales avec transformations de la chair et fusions homme/machine : cerveaux reliés directement avec des réseaux d’information, réseaux de capteurs et implants électroniques cérébraux, cyborgs humains greffés de micropuces et parties mécaniques miniaturisées intégrées…

3- Les relations entre les gens continueront à être transformées par des communications toujours plus sophistiquées. On pourra ainsi tout transmettre immédiatement, avec une interconnexion des personnes et de l’argent, par des fibres optiques transmettant à très haut débit les données, à la vitesse de la lumière. Ce qui accroitra la puissance de calcul des appareils, avec les applications du quantique… Cela fait qu’il y aura probablement…

– une poursuite des moyens facilitant l’accès à toutes les connaissances ;

– de plus en plus de conservation (archivage…) de masses de données (big data) dans des clouds (stockage de masses de données en ligne) ;

– une poursuite de la diffusion des informations en urgence et en continu, y compris concernant des choses sur lesquelles on n’a aucune prise, répondant à l’attrait du nouveau (caprices, modes…), dans la rapidité, jusqu’à l’immédiat. Ce qui aura pour effet d’augmenter nos difficultés de concentration, lecture et écoute des autres ;

– des possibilités de traduction en temps réel, permettant de comprendre n’importe quelle langue, une fois une oreillette installée ;

– un enregistrement et mémorisation de tout ce qui est dit (ne parlons-nous pas 40 % du temps) ;

– une exploitation systématique des données sur les goûts des utilisateurs (par des spécialistes s’efforçant de comprendre ce à quoi ils aspirent, afin de satisfaire la moindre de leurs envies, avant même qu’ils en formulent la demande et leur faire livrer les dernières nouveautés, sans qu’ils aient eu à les commander, ce qui revient à leur dicter leurs désirs. Cette manipulation a des conséquences psychologiques destructrices, trop souvent ignorées : satiété, passivité… ;

– la création d’un espace digital commun.

On échangera ainsi de plus en plus des images, vidéos et opinions, au risque de perdre pied avec le réel, en s’abîmant dans les simulations, sous l’influence du virtuel récréant, autour de soi, une « réalité augmentée », jusqu’à ne plus être capable de distinguer le réel de l’illusion.

Il importerait d’aller au-delà de la plupart de ces innovations de la Silicon Valley, qui n’apportent que des solutions séduisantes à des questions qui ne se posent pas réellement. Comme si l’ère numérique n’avait rien de plus visionnaire à proposer que des gadgets visant à entretenir la satisfaction des consommateurs anesthésiés, au risque d’effets pervers :

– De telles évolutions induisent une infantilisation ! La satisfaction permanente de ses demandes, c’est le présent permanent, sans le moindre projet de progrès !

–  Ces technologies sophistiquent et accroissent les possibilités de tromper les autres.

– Elles conduisent à l’élaboration d’outils permettant la multiplication des piratages des systèmes d’information et de communication, jusqu’à induire une guerre de l’information.

4- Pendant ce temps, les systèmes politiques poursuivront sans doute les évolutions engagées et ne se transformeront pas fondamentalement. On peut ainsi redouter qu’il n’y ait guère de progrès dans la limitation des injustices, des exploitations, des oppressions des hommes et des violences. Il y aura sans doute surtout…

– une poursuite de la mondialisation, pouvant aller jusqu’à abolir les frontières. Même les menaces écologiques concernant le salut de la planète entraîneront, imperceptiblement, le déclin du poids des nations. Ce qui sera certainement contrebalancé par la mise en avant des différences interculturelles et l’affirmation, par chacun, des particularités de son identité ;

– de probables nouvelles centralisations de pouvoirs, soutenues par des concentrations de capitaux, allant jusqu’à promouvoir l’édification d’institutions de gouvernement planétaires ;

– l’instauration de contrôles des peuples grâce à la surveillance automatisée des comportements humains, ce qui ne va pas dans la sens de la préservation des libertés individuelles ;

– une augmentation des inégalités entre un nombre de plus en plus réduit de ceux qui possèdent de plus en plus d’argent et de pouvoir… et la masse de ceux qui n’ont plus de prise sur leurs conditions de vie et sont manipulés par les incitations à la consommation.

Au-delà de ces quatre dynamiques se poursuivant, à quelles ruptures s’attendre ?

Il est difficile d’envisager tout ce qui pourra être imaginé et sera susceptible de séduire les hommes. Surtout que nous sommes entrés dans un univers d’accélération et augmentation de la fréquence des changements et virages brusques.

En tout état de cause, nous devrons nécessairement faire face à toutes les conséquences néfastes de tous nos « progrès ». Il deviendra, en particulier, vital de lutter contre la destruction de l’environnement naturel dans lequel les hommes vivent et qui les fait vivre : réchauffement climatique engendrant des bouleversements des conditions de vie, pollution et envahissement par les déchets, disparition de nombreuses espèces végétales et animales, multiplications des maladies nouvelles et pandémies, démographie induisant une augmentation de la population dépassant les capacités du globe terrestre ce qui entraine une raréfaction des ressources, dérives incontrôlées de l’économie, au seul bénéfices des spéculateurs… On peut anticiper que cela nécessitera, par exemple, le recyclage systématique de biens éphémères, donc la multiplication des sites et boutiques de prêt et de troc, ou l’extension de productions alimentaires telles que l’élevage d’insectes, ou la culture tissulaire (viande conceptuelle).

Ici, il semble que nous sommes face à deux éventualités :

– La poursuite et même l’accentuation de l’abrutissement des peuples soumis à un contrôle politique accru et manipulés par la séduction de « nouveautés », provoquant des envies de consommation. Ce qui aurait inexorablement des conséquences dramatiques pour l’humanité.

– Un dynamisme et une imagination des nouvelles générations qui feront qu’ils arriveront à trouver des solutions pour surmonter les menaces susceptibles de leurs être fatals. Non seulement faire de multiples découvertes scientifiques et créations technologiques innovantes. On peut ainsi envisager bien des possibilités nouvelles liées aux applications des lasers, des imprimantes 3D (création de vêtements, meubles…), du nano et du quantique.

Cela ouvrira de nouvelles possibilités de transport et déplacement :

– petits véhicules volant ou amphibies, sans conducteur, contrôlés par des automates ;

– avancées dans exploration spatiale, colonies spatiales, voire voyages intergalactiques…

Mais il leur faudra aussi, certainement, adopter des comportements plus appropriés.

D’ailleurs, parmi tous ces changements futurs, les plus déterminants seront probablement ceux qui étendront leurs possibilités des hommes et surtout repousseront les limites sociales, en apportant des améliorations qui répondent à leurs aspirations fondamentales. Pour avoir un tel projet pour l’avenir donnant envie de chercher le chemin pour l’atteindre, il faut être capable de se représenter une vie meilleure et rêver des utopies qui la réalisent.no